Ils n’ont pas attendu la crise des caricatures...
Alors que 50 000 personnes manifestaient dimanche encore à Karachi dans le sud du Pakistan et au moment où le numéro deux d’Al-Qaida, Ayman Zawahiri, invite à la vengeance, le président français Jacques Chirac appelle au dialogue devant le « choc des ignorances » dans ce qu’il est convenu d’appeler la crise des caricatures.
Alors que 50 000 personnes manifestaient dimanche encore à Karachi dans le sud du Pakistan et au moment où le numéro deux d’Al-Qaida, Ayman Zawahiri, invite à la vengeance, le président français Jacques Chirac appelle au dialogue devant le « choc des ignorances » dans ce qu’il est convenu d’appeler la crise des caricatures. Pour les bons citoyens que nous sommes, cette invitation, rapportée par l’Associated Press lors du séjour de Chirac en Arabie saoudite, semble nous concerner en bien peu de choses. Tout en reconnaissant la nécessité de l’échange, beaucoup laissent aux autorités politiques, aux diplomates et aux chefs religieux la responsabilité d’intervenir.
Pourtant, voilà plusieurs années déjà que des chrétiens et des musulmans québécois se sont donné les espaces nécessaires au dialogue aujourd’hui tant recherché. Dès 1991, le Comité interreligion, formé de bénévoles, a organisé différentes activités favorisant la connaissance et la reconnaissance entre chrétiens et musulmans. Depuis 2001, trois groupes ont poussé plus loin l’intuition de départ. Le Comité de dialogue entre chrétiens et musulmans, le groupe Rencontres spirituelles et le Cercle interreligieux ont chacun leurs propres modes de fonctionnement et leurs activités tout en ayant pour objectif commun « de promouvoir des relations de collaboration et d’entente entre croyants musulmans et chrétiens » (site Internet).
Le dialogue en temps de crise
Pour le responsable du Secrétariat Interreligion, Bernard Tremblay, ces groupes sont « un lieu de rencontre, d’échange et de ressourcement pour les membres. À travers échanges et réflexions personnelles, ils ont l’occasion d’approfondir la connaissance de leurs traditions religieuses respectives et de s’habiliter ainsi à aider leur communauté d’appartenance à relever le défi de la convivialité interreligieuse ». La conjoncture actuelle marquée de la montée de l’islamisme (la version radicale et politique de l’islam) et la réaction guère plus nuancée de certains occidentaux démontrent la pertinence de ces initiatives. « Il est important de se réunir ainsi pour échanger, affirme monsieur Tremblay, surtout dans les moments de crise et de difficultés. Par exemple, lors des discussions sur l’instauration des cours islamiques en Ontario et lors de la crise des caricatures, les membres [ont pu] échanger sur le sujet, au lieu d’aller aux journaux ou de recourir à la violence tant verbale que physique. »
Aux yeux du père Tremblay, la parution des douze caricatures de Mahomet dans le journal danois Jyllands-Posten en septembre dernier, et reprise depuis dans des journaux européens, est un véritable « scandale ». Pour lui, les médias occidentaux auraient dû agir autrement : « Quand on sait que l’autre va réagir, on n’a pas le droit de le provoquer en disant qu’il doit changer sa mentalité vieillotte, qu’il faut qu’il se modernise. »
Un souffle de sympathie
Bernard Tremblay ne croit pas que cette crise va rendre le dialogue plus difficile, malgré le « sentiment de crainte et de malaise devant la force du déferlement de violence ». Au contraire, il est d’avis que « cela a peut-être généré un souffle de sympathie pour les musulmans modérés, les voisins, ceux que nous côtoyons. Ici à Montréal, il y a eu des journées “portes ouvertes” où les gens en ont appris au sujet des musulmans. Les gens d’ici sont comme ça : tape sur quelqu’un injustement et on va passer par-dessus toutes les violences, dépasser tout ça, [et faire preuve] de sympathie. » Autant la situation semble tendue, autant le père Tremblay croit que les Québécois savent faire les nuances qui s’imposent : « Les gens ont compris et ne jettent pas le blâme sur le musulman ordinaire pour l’islamisme. Après tout, c’est un phénomène qui les blesse plus que nous; il y a plus de musulmans [que de non-musulmans] tués par les islamistes. [Les musulmans québécois] veulent aussi affranchir leur religion du pouvoir politique. Ce n’est pas pour rien qu’ils ont fui ici. Les gens comprennent qu’il ne faut pas les blâmer pour les crimes de leurs frères. »