Le Forum André-Naud veut provoquer la réflexion
« Aux membres du personnel pastoral des diocèses catholiques du Québec, c’est à vous qu’est destiné le projet du Forum André-Naud », affirmait une publicité placée dans les pages du Devoir du 15 mai dernier.
« Aux membres du personnel pastoral des diocèses catholiques du Québec, c’est à vous qu’est destiné le projet du Forum André-Naud », affirmait une publicité placée dans les pages du Devoir du 15 mai dernier. Une invitation inusitée à se joindre à un réseau qui, bien qu’il soit encore un projet, a déjà lancé le débat en février dernier par la publication de la remarquée lettre ouverte aux évêques québécois dans laquelle dix-neuf prêtres expriment le souhait que « l’Église tout entière se considère partie prenante à l’aventure humaine ».
Solidarité
Fréquentant depuis longtemps les écrits d’André Naud, Claude Lefebvre, prêtre et instigateur du Forum, est interpellé par « le questionnement, la rigueur et les positions » du regretté professeur de l’Université de Montréal. Alors que les questions de liberté et de recherche d’intelligence posées par le théologien agissent « en fond de scène » de l’ensemble de la démarche, l’idée même du Forum naît de considérations plus pragmatiques : la volonté d’être solidaire des prises de parole d’un des leurs, l’abbé Raymond Gravel. « Je ne le connaissais pas personnellement, raconte monsieur Lefebvre, mais je le trouvais audacieux dans sa façon de dire les choses, quoique des fois je n’aurais pas endossé nécessairement la façon. Toujours pertinent, je trouvais qu’il disait ce qui devait être dit. » Convaincu « qu’un discours libre et parfois critique doit être porté par un bon nombre de personnes [afin qu’il] ait des chances de tenir la route dans l’Église », un groupe d’une dizaine de prêtres se forme rapidement. Leurs rencontres mèneront à la prise de parole publique des dix-neuf. En marche vers un congrès de fondation prévu le 18 octobre prochain, le Forum entend se développer par la formation de cellules de réflexion dans différents diocèses. « Ce qui importe, soutient l’abbé Lefebvre, c’est le travail à la base : qu’ils soient une demi-douzaine à Gaspé, Rimouski ou ailleurs, qu’ils s’encouragent à partir de leur terrain et de leur Église locale, qu’ils mettent des questions sur le tapis et en parlent avec d’autres... »
L’écartèlement des intervenants
Objet d’intenses discussions entre les membres fondateurs, la restriction aux membres du personnel pastoral mandaté – qui sera réévaluée dans deux ans – est motivée par ce qui serait particulier à leur situation : plusieurs intervenants se sentent écartelés entre un discours officiel en crise de crédibilité et une expérience religieuse qui, à la base, a peu à voir avec ce discours. Cette tension se trouve d’autant plus amplifiée que les instances à l’intérieur de l’institution sont « trop formelles et institutionnalisées » pour offrir « la liberté de recherche et le dialogue nécessaires ». C’est bien cet écart qui impose la mise en place de ce Forum, davantage encore qu’une réaction à une montée de la droite. « Il y a peut-être un mouvement de droite, mais, près de nous, il y a une Église qui vit sur le terrain et il y a une Église qui, quand elle parle, va chercher son discours ailleurs. Le discours et l’enseignement ne semblent pas influencés par la culture et par ce que les gens deviennent, et ça, c’est une souffrance qui devient insupportable. Cet écart-là, c’est plus consistant que l’arrivée d’une nouvelle droite. »
Formation permanente par le dialogue
Refusant le « tu prends tout ou tu ne prends rien » d’une frange de catholiques prompts à montrer la sortie à ceux et celles qui questionnent, monsieur Lefebvre insiste sur l’absence de toute intention schismatique et sur la réelle motivation au dialogue qui doit avoir lieu tant à l’intérieur de l’Église qu’entre l’Église et le monde. « Moi, je perçois ce projet comme un outil de formation permanente. Devenir membre, c’est une provocation à réfléchir, dit-il, c’est exigeant d’accueillir des questions et de chercher des réponses. On a besoin d’être aidé. » Cette aide, elle viendra des travaux d’André Naud et d’autres théologiens et théologiennes certes, mais aussi du soutien d’un réseau qui, par sa simple existence, brise l’isolement.