Sentiers de FoiVolume 11 - no 143

En finir avec notre aveuglement sélectif

Jocelyn Girard
Depuis quelques mois, l’actualité nous impose des scènes terribles à voir : des femmes et des enfants violés, battus.
  Depuis quelques mois, l’actualité nous impose des scènes terribles à voir : des femmes et des enfants violés, battus. Des villages entiers qui vivent dans des conditions infâmes, soumis à la terreur de barbares qui prennent possession des lieux et qui imposent leur loi. Des exilés, par centaines de milliers, sont forcés de se déplacer pour leur survie, ne sachant pas ce qui leur arrivera. Notre cœur est chaviré. Nous voulons faire quelque chose et, pour cela, parvenons même à dépasser nos craintes de l’islamisme : ils sont nombreux celles et ceux qui sont prêts à ouvrir leur maison, leur mairie, leur église afin d’offrir un refuge. Notre nouveau premier ministre se propose même d’accueillir 25 000 réfugiés d’ici Noël… Bravo! Je suis fier de nous!   Depuis des dizaines d’années, l’actualité s’efforce de ne pas nous montrer des scènes que nous aurions peine à voir : des femmes et des enfants abusés, violés, maltraités; des villages entiers souffrant de conditions qui rappellent le tiers-monde; un État insensible à leur détresse et pourtant premier responsable de ce qu’il faut appeler un génocide culturel. L’alcoolisme, la toxicomanie, la violence conjugale, la désorganisation sociale sont le lot quotidien de ces communautés. Des femmes parviennent à les quitter pour trouver refuge en ville, laissant tout derrière elles. Chaque fois qu’un média couvre ces situations, il se passe quelque chose : collectivement, nous fermons les yeux, ça fait trop mal… J’ai honte pour nous.
Deux poids, deux mesures Comment est-il possible que nous, en tant que société moderne, solidaire, ouverte aux droits des minorités, soyons si massivement disposés à nous laisser toucher devant le premier exemple (hormis notre peur du terrorisme), et si lourdement aveuglés devant le second? Pourquoi, chaque fois que des histoires sordides sur la situation des communautés autochtones ressortent dans les médias, nous butons-nous sur notre incapacité à les regarder en vérité, à nous indigner et, surtout, à nous engager auprès d’elles pour enfin laisser surgir en leur faveur notre compassion et notre sens de la justice? Visiblement, après 450 ans de colonialisme et de paternalisme, nous ne sommes toujours pas prêts à nous laisser bousculer. L’existence même des « réserves indiennes » ne remet-elle pas en question notre présence sur ce territoire, la manière dont nous avons agi avec ces populations indigènes en les privant de leur dignité, de leurs cultures, de leur spiritualité, bref, de tout ce qui constituait leur identité, pour en faire les habitants d’un apartheid bien de chez nous? Les femmes qui fuient les réserves sont les grandes victimes. Victimes de leurs hommes qui, pour un grand nombre, ont perdu ce qui leur restait d’humanité en exerçant le seul pouvoir qui leur reste sur les plus faibles. Victimes surtout de notre discrimination organisée et systémique qui laisse régner la loi du plus fort et l’impunité. Que nous faut-il donc de plus pour voir dans ces femmes exilées des réfugiées de chez nous, forcées de se déplacer dans des villes où, hors de ces maisons « Tortue », elles continuent, en s’y résignant, de se mettre en danger? Le changement vient Il se passe quelque chose qui est en voie de nous rattraper, de nous forcer à ouvrir les yeux. Depuis « Vérité et Réconciliation » et Idle No More, les Autochtones se cachent de moins en moins. Le fait que des non-Autochtones se soient joints à eux de manière significative est une nouveauté dans notre histoire. Une partie de la population ne veut plus demeurer les yeux fermés sur cette réalité. Nous avons été nombreux à signer des pétitions concernant les 1 200 femmes autochtones officiellement disparues et les 2 000 autres dont les enquêtes ne mènent à rien. En voyant l’itinéraire de Pénélope Guay, je n’ai pu m’empêcher de penser à une autre célèbre Pénélope, celle qui a été laissée sans la protection de son mari Ulysse durant 20 ans et qui a dû endurer la présence de prétendants machos aux attitudes les plus dégradantes. Notre Pénélope ouvre un centre pour les femmes qui doivent quitter leur logis afin de fuir de tels hommes, y compris leur propre mari! Il est temps de rompre avec le cycle de la violence faite aux femmes, à toutes les femmes. Mais ces femmes-là, les plus invisibles du peuple invisible, auraient bien besoin, dès maintenant, que toutes les femmes et tous les hommes d’ici sortent pour marcher à leurs côtés. Notre belle société québécoise se glorifie de partager la valeur de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ne devrait-elle pas se lever, avec l’Église repentante, pour dire « c’est assez! » : le temps de l’inaction est passé, celui des gestes concrets est arrivé. Le premier accomplissement d’une nation québécoise ne devrait-il pas se trouver dans un dialogue authentique avec les Premières Nations, dans une reconnaissance sincère du mal commis durant des générations? Levons-nous pour changer les choses si nous voulons qu’à la face du monde, nous puissions un jour être reconnus comme un grand peuple parmi ceux qui ont su faire la paix dans leur propre cour.

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