Sentiers de FoiVolume 09 - no 129

Par-delà les cinq sens

Jocelyn Girard
Lou est un adolescent belge porteur du syndrome de Morsier1.
Lou est un adolescent belge porteur du syndrome de Morsier1. Il est aveugle, n’a pas d’odorat, a le goût altéré et présente de nombreux traits autistes. Il ne lui reste que le toucher et l’ouïe pour appréhender le monde. Il est devenu célèbre grâce à sa capacité de reproduire des chansons en s’accompagnant lui-même au piano, sans qu’on lui ait jamais appris. Lou est un phénomène parce qu’il a une perception du monde qui est unique. Trois sens déficients sur cinq et, pourtant, par les deux qui restent, il appréhende la réalité avec une acuité bouleversante. Plus on apprend à le connaître, plus on découvre des aspects de notre propre existence qui nous auraient échappé autrement. Vraiment, sans accès à la vue, Lou est incontestablement un grand « voyant ». Lucie Brousseau n’a apparemment rien de commun avec Lou, rien en termes de handicap en tout cas. Mais elle partage quelque chose de son don extraordinaire de contemplation. Si, pour Lucie, cela passe plus couramment par la vision, comme pour la majorité d’entre nous, elle a su, plus que nombre d’entre nous, trouver le chemin qui conduit de la vue extérieure à la contemplation intérieure. La véritable contemplation, par-delà ce qui est sensible, consiste à « voir » la lumière d’abord en nous-mêmes. L’intériorité, en effet, donne accès à la dimension lumineuse de notre être et nous fait passer par Dieu-en-soi pour découvrir le côté lumineux des autres. Il peut paraître étonnant qu’une contemplatrice passionnée en vienne si naturellement à se tourner vers les autres, notamment les enfants défavorisés et les personnes aux prises avec la souffrance. Ne voit-on pas généralement la contemplation comme un retrait du monde, un attrait irrépressible vers Dieu, adoré principalement dans le temple ou en solitaire? À l’exemple de Lucie Brousseau, la contemplation authentique ne pousserait-elle pas plutôt l’être hors de lui-même? Un vrai « voyant » ne devrait-il pas croître en « présence au monde », en « présence réelle »? C’est ainsi qu’en parlait Jean Vanier au Congrès eucharistique de Québec2 : présence de nous-mêmes aux souffrants, aux exclus et, plus encore, présence réelle de Dieu dans ses pauvres. Voir, c’est croire… S’il faut en croire l’itinéraire de Lucie Brousseau, il y a bien d’autres sanctuaires où la présence divine se laisse toucher et contempler. Et la nature vient en premier. Saint Augustin a été un grand adorateur de Dieu par la médiation de la création. Pour lui, « toute beauté est une trace de l’amour du Créateur ». L’être humain pourrait se laisser enfermer par ses sens. Il est appelé à les dépasser pour entrer dans la paix que seule la relation intime avec la Beauté peut combler : « Tu as appelé, tu as crié et tu as brisé ma surdité; tu as brillé, tu as resplendi et tu as dissipé ma cécité; tu as embaumé, j’ai respiré et, haletant, j’aspire à toi; j’ai goûté, et j’ai faim et j’ai soif; tu m’as touché et je me suis enflammé pour ta paix. » (Confessions X, 38) En entrant en relation avec Dieu par les cinq sens, nous sommes « loin des formules abstraites ». Mais le désir de le toucher peut aussi se développer par le « questionnement ensemble », tandis que la raison, dimension essentielle de notre humanité, se laisse appeler à l’engagement dans les urgences de notre terre et la souffrance de nos sœurs et de nos frères. Au milieu d’un tel cheminement, la foi elle-même devient lumineuse et rayonnante. « La lumière, c’est mon nom », dit Lucie, lucia. Elle pourrait se contenter de le porter sans être devenue porteuse de lumière. C’est bien parce qu’elle la porte en elle qu’elle la voit chez les autres, notamment dans les yeux de ces enfants conteurs qui deviennent, pour nos yeux à nous, l’expression d’une lumière divine. À nous, qui sommes parfois aveugles comme Lou, il est donné de croire qu’en empruntant le regard de Dieu, nous puissions en venir à aimer toute sa création, car « l’amour ouvre à la beauté et la beauté ouvre à l’amour » (saint Augustin). Et alors, (re)devenus croyants comme l’aveugle-né (cf. Jean 9), nous pourrions à notre tour contempler, en Jésus lui-même, la Lumière du monde et le monde illuminé par le divin.

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