Sentiers de FoiVolume 08 - no 115

Humain et divin

Raymond Lemieux
D’emblée, Xavier Gravend-Tirole annonce ses couleurs dès l’avant-propos de ses Lettres à Kateri : « avancer dans une voie spirituelle pleinement humaine et pleinement divine en même temps ».
D’emblée, Xavier Gravend-Tirole annonce ses couleurs dès l’avant-propos de ses Lettres à Kateri : « avancer dans une voie spirituelle pleinement humaine et pleinement divine en même temps ». Et, chose pouvant sembler rare aujourd’hui, c’est dans le catholicisme qu’il trace sa voie. Certes, il n’est pas le seul de sa génération à chercher ainsi, hors des sentiers battus de la consommation et de la réussite professionnelle. Des jeunes moines, notamment, ont fait récemment l’objet d’un film au Québec1. Mais tout en rejoignant la cohorte des désenchantés du monde contemporain, tous ces autres jeunes dont la musique2 même, notamment, chante la lucide désillusion, ces engagements restent exceptionnels. Qu’est-ce qui fait la pertinence de ce récit romanesque, au point que son lecteur peut en être « très étrangement dérangé », pour reprendre les mots de Dany Laferrière3 à son propos. Deux choses, au moins. La première est celle que Laferrière note d’emblée : les héros du roman nous mettent en présence de « deux âmes droites, pures et inquiètes », vivant une véritable relation amoureuse dans des environnements radicalement contrastés : lui, jeune moine dans un monastère isolé du Bas-du-Fleuve, riche d’un environnement naturel somptueux, mais loin des bruits du monde, elle, jeune Montréalaise vivant grossesse, perte de son enfant, rupture de son couple, durant les mois de leur correspondance. Lui, bercé par le rythme des marées et des champs; elle, ballottée par les torrents de la vie. Lui, croyant résolu et hardi, qui travaille à intelliger sa foi, elle, résolument athée et ‒ apprend-on à la fin du récit ‒ blessée par une vieille histoire de violence à connotation religieuse. Difficile, en réalité, de mettre en scène plus radicalement la concomitance du pleinement humain et pleinement divin, le rapport créateur entre la solidarité et la différence. Mais cela ne rejoint-il pas, très précisément, les conditions désormais ordinaires de l’expérience chrétienne? L’autre facteur de « dérangement » est sans contredit la traversée du catholicisme, originale et courageuse, sans complaisance, mais toujours affectueuse, qui est proposée au lecteur. On y découvre un christianisme plus risqué qu’on pense. Toujours risqué, dans ses conventions comme dans ses explorations. Vingt siècles d’histoires ont laissé sur le visage de l’Église des balafres d’autant plus visibles qu’on tente de les maquiller. Les institutions cléricales connaissent un désenchantement radical. Marcher dans la foi, dès lors, ne donne guère d’occasions d’assoupissement. Le sentier est comme un fil tendu sur lequel le croyant avance à la manière d’un funambule, craignant sans cesse de tomber dans le vide ou de ne s’accrocher qu’au vent. Pour baliser cet exercice d’équilibre, l’auteur se fait tour à tour catéchète, théologien, historien de l’Église et des religions, philosophe, moraliste, sociologue, éthicien... Sans dogmatiser, toujours critique, il prend le risque de l’intelligence pour vérifier les idées reçues, les préjugés, les mythes ‒ d’où qu’ils viennent... Certes, on est ici en présence d’une œuvre de fiction. Certains y trouveront prétexte pour en minimiser les propos. C’est oublier que croire, c’est prêter visage à un Autre dont le réel échappe complètement à l’image qu’on s’en fait. Un travail de représentation, donc, par lequel chacun fait venir au langage, c’est-à-dire à la condition humaine, du sens pour lui-même et les autres. Continuer de croire, c’est ne pas abdiquer ce mouvement et poser que derrière le visage qui arrête aujourd’hui le regard, l’Autre se trouve incommensurablement plus beau et plus désirable. Raconter des histoires, à la manière de toutes les Écritures, n’est-ce pas un des meilleurs moyens de respecter en même temps l’humain et le divin? Un tel chemin est bien la voie d’un désir sans limites. Travail d’intelligence, est-il à la portée de tous et toutes? Pourquoi pas? À condition de respecter le rythme de chacun et chacune. Ses défis, en tout cas, sont bien contemporains, au diapason d’une société multiforme aux contrastes profonds. Où chaque personne se heurte à du sens qui lui échappe.

Articles parus


Le massacre de Charlie Hebdo : les impasses de l'actualité

Volume 10 - no 135
« Je ne vois pas d'autre issue : que chacun de nous fasse un retour sur lui-même et extirpe et anéantisse en lui tout ce qu'il croit devoir anéantir chez les autres.

Responsables du sens

Volume 10 - no 139
Les sociétés contemporaines sont réglées par des logiques procédurales.

Lieux de partage : la marche et le repas

Volume 10 - no 132
Parmi les signes se donnant à lire dans les Évangiles, il en est deux qui sont constamment mis en scène : la marche et le repas.

La foi du bourlingueur

Volume 09 - no 128
L’itinéraire de Claude Lacaille est riche d’expériences internationales et de rencontres de toutes sortes.

Sur les sentiers de foi, célébrer la marche

Volume 08 - no 117
Notre webzine donne une nouvelle impulsion à sa campagne de financement.

Humain et divin

Volume 08 - no 115
D’emblée, Xavier Gravend-Tirole annonce ses couleurs dès l’avant-propos de ses Lettres à Kateri : « avancer dans une voie spirituelle pleinement humaine et pleinement divine en même temps ».

Des sentiers d'espérance

Volume 07 - no 100
La foi des chrétiens assume que le salut est donné au monde par l’incarnation, la mort et la résurrection du Christ.

Peu de gens en parlent

Volume 07 - no 05
C’est le titre d’une des rubriques de Microphone francophone, l’émission de radio produite par Erika et Martin, diffusée actuellement en France, en Belgique, au Bénin, en Pologne, et au Québec par Radio Ville-Marie1.

La théologie est aussi un sentier de foi

Volume 06 - no 11
Toute institution repose sur un choix arbitraire de symboles qui structurent sa vie et déterminent sa visibilité.

L'art est aussi une quête...

Volume 06 - no 07
Qu’est-ce que la beauté? Certes, la conception en diffère selon les civilisations, voire selon les époques dans une même civilisation.

Fleur de macadam

Volume 05 - no 12
Les sociétés contemporaines enjoignent à chacun et chacune de « réussir », de « se réaliser ».

Continuer de vivre dans ce monde : un acte de foi

Volume 04 - no 05
On associe généralement l’impasse à une expérience extrême.

Vivre avec la mort

Volume 04 - no 07
Les mythes propres aux logiques marchandes (ou modernes) reposent la plupart du temps sur une croyance diffuse en l’immortalité.

Nous redevenons des nomades

Volume 04 - no 13
En ces temps incertains où semblent s’écrouler les institutions – celles qui sont soutenues par les traditions comme celles qui répondent des logiques de marché – les humains que nous sommes redeviennent de plus en plus nomades.