Le Devoir a 100 ans! Métamorphoses d’un journal libre
Au Québec, la plupart de nos institutions ont des racines chrétiennes catholiques : écoles, hôpitaux, services sociaux, syndicats (CSN, CEQ/CSQ), Mouvement Desjardins, journaux, groupes populaires.
Au Québec, la plupart de nos institutions ont des racines chrétiennes catholiques : écoles, hôpitaux, services sociaux, syndicats (CSN, CEQ/CSQ), Mouvement Desjardins, journaux, groupes populaires. Même si la prise d’autonomie fut parfois difficile, l’esprit de liberté de pensée et d’action l’a emporté sur la tendance au contrôle des autorités ecclésiales et politiques. Beaucoup d’organismes chrétiens, comme ceux que nous vous présentons dans ce journal, sont aussi devenus autonomes, certains gardant une référence explicite à la foi. Le Devoir est un exemple de l’émancipation du Québec de la mainmise cléricale sur la société.
L’histoire du Devoir, c’est l’histoire du Québec.
L’histoire du Devoir, de ses luttes et métamorphoses, illustre à merveille celle du Québec. Les batailles politiques, la question nationale, les tensions linguistiques et religieuses, les enjeux socioéconomiques et éthiques, l’environnement, la culture, les arts, tout de la vie d’un peuple s’y retrouve. Sans oublier la scène internationale. Soucieux de la qualité de l’information et de la réflexion, « le journal se voulait une réponse à cette presse à ramage et à image1 », presse à sensation dirait-on aujourd’hui, qui ne cherche qu’à vendre et à distraire. S’inspirant fortement de la doctrine sociale de l’Église catholique (Léon XIII), Henri Bourassa, fondateur très nationaliste (contre l’impérialisme britannique) et ultramontain (partisan du pouvoir absolu du Pape) du Devoir, défendra les intérêts du peuple canadien-français, de la religion et la justice sociale avec audace et persévérance jusqu’à sa « retraite » du journal en 1932. Dès le départ, Bourassa voulait son journal indépendant des partis politiques, des groupes de pression et des syndicats, des idéologies et surtout des grands conglomérats financiers. Mais l’indépendance se paie. Le Devoir vivra toujours une certaine précarité financière et passera près de fermer à plusieurs reprises, faute de fonds.
Le combat pour l’honnêteté en politique, le service des citoyens, la démocratie et la justice sociale est demeuré au cœur des interventions du Devoir jusqu’à aujourd’hui. « Le Devoir appuiera les honnêtes gens et dénoncera les coquins », avait écrit Bourassa, dans son premier éditorial « Avant le combat » du 10 janvier 1910. Voici quelques commentaires d’époque, par Bourassa, qui ont gardé toute leur actualité : « La notion du devoir public est tellement affaiblie que le nom même sonne étrangement à beaucoup d’oreilles honnêtes... »; « Dans la politique provinciale, nous combattons le gouvernement actuel (le libéral Lomer Gouin et, plus tard, Maurice Duplessis pendant 13 ans) parce que nous y trouvons toutes les tendances mauvaises que nous voulons faire disparaître de la vie publique : la vénalité, l’insouciance, la lâcheté, l’esprit de parti avilissant et étroit »; « À Ottawa... le souci de la conquête ou de la conservation du pouvoir semble être leur seul mobile » et « ... le droit, la justice, l’intérêt national ont été sacrifiés à l’opportunisme, aux intrigues de partis ou, pis encore, à la cupidité des intérêts individuels2 ». Il suffit de fréquenter les pages du Devoir pour s’en convaincre. De la foi à l’éthique « Journal politique et religieux, imbu de la doctrine sociale de l’Église mais dirigé par des laïcs3 », Le Devoir a su s’adapter à la mouvance culturelle et religieuse de la société. Pourtant, bien qu’il soit pour le progrès et la liberté, Le Devoir fut « longtemps soumis de cœur et d’esprit (en matière religieuse) à l’autorité de l’Église », rappelait Gérard Filion, directeur de 1947 à 19634. On peut mesurer le chemin parcouru lorsque l’on compare cette affirmation de Filion – « Le monde ne retrouvera la paix que dans le retour à la pratique de l’Évangile et dans l’acceptation de la médiation du seul juge impartial qui soit sur terre, le Pape » (Gérard Filion, 1947) – et celle de Claude Ryan en 1970. En effet, alors que l’hémorragie de désaffection se poursuit dans l’Église catholique du Québec, Claude Ryan, le nouveau directeur du Devoir fait le point sur la référence chrétienne : « Les valeurs chrétiennes sont demeurées "l’un des soucis constants" des responsables du Devoir, mais elles revêtent désormais "des formes plus laïques" : respect de l’autre, défense des libertés fondamentales, souci du dialogue, recherche de la vérité et de l’intégrité5 ». Pour Ryan, « l’action fondamentale du journal est d’informer et d’alimenter une opinion publique adulte6 ». Mais Le Devoir est aussi un journal de combat qui a pris position sur les enjeux politiques majeurs et de justice sociale. Il défend des valeurs, et ces valeurs aux racines chrétiennes, bien qu’ayant pris des visages laïques, me semblent prévaloir encore aujourd’hui. Une presse libre est un pilier essentiel de la démocratie et de l’engagement citoyen. Libre devant les pouvoirs politiques, financiers, privés, idéologiques et religieux. Dans un autre registre, la revue Relations comme notre journal Sentiersdefoi.info se situent dans cette tradition et cet esprit de liberté.« Avant le pouvoir doit passer le devoir. » Henri Bourassa, 1944