Consultation sur la famille et révolution du pape François
Le pape François invite les fidèles à continuer la réflexion sur les enjeux de la famille pour préparer la deuxième partie du Synode.
Le pape François invite les fidèles à continuer la réflexion sur les enjeux de la famille pour préparer la deuxième partie du Synode. Une initiative à la fois réjouissante et inquiétante. Pour une fois, on respecte le sensus fidelium, et ce, à propos d’une situation où les laïcs sont particulièrement impliqués. En même temps, on peut se demander s’il n’est pas trop tard pour plusieurs. Est-il encore possible de croire influencer la culture des curies romaines ou locales?
Les réponses positives d’organismes comme Le Parvis de Québec et le Carrefour foi et spiritualité relativisent sans l’annuler cette inquiétude. Il y a encore des groupes qui sont prêts à jouer le jeu, mais l’exercice lui-même révèle un écart, sinon une méfiance, à l’égard de l’institution. (Le Parvis de Québec a déjà publié son rapport, alors que le pendant montréalais prévoit une autre rencontre.) Dans l’un et l’autre cas, on veut partir de ce qui se vit réellement dans les familles, rejoignant ainsi le Saint-Père qui veut que l’on « sente » ce qui s’y joue. Ce qui fait que les paramètres de la réflexion se posent alors de façon tout à fait différente, sinon opposée, aux questionnaires institutionnels.
On vérifiera, par exemple, l’effet qu’a pu avoir l’interdiction de la communion pour les divorcés remariés pour réaliser que certains ont d’abord souffert de cette exclusion pour ensuite assumer pleinement leur liberté de conscience. D’aucuns s’approchent même de la table eucharistique sans problème, et ce, parfois, avec le soutien d’un prêtre. On dénoncera l’injustice ou la discrimination de ce genre d’interdiction. Exemple d’injustice : punir indistinctement la personne qui a cherché le divorce et celle à qui il a été imposé? Exemple de discrimination : réduit à l’état laïque et marié, le prêtre garde accès à l’eucharistie, alors qu’elle est interdite aux personnes divorcées remariées. Enfin, on aura du mal à répondre à des questions sur la « mission évangélisatrice de la famille chrétienne » en rétorquant qu’il s’agit là d’un vocabulaire abstrait et clérical qui ne dit rien aux familles d’ici. Ces quelques exemples montrent que la réflexion s’articule non seulement autour des différentes problématiques de la vie de famille elle-même, mais aussi autour de la relation de réciprocité entre la famille et le modèle ecclésial dominant. Des exemples qui montrent qu’à la base, la discipline apparaît parfois contestable, voire invalide, et que le langage utilisé par l’appareil ne trouve pas toujours d’écho chez les catholiques.
Voilà des prises de position qui sont sans doute elles-mêmes discutables, mais qui font partie du réel des familles et dont il faudrait tenir compte. Des réalités qui ont cependant peu de chance d’être saisies par les questionnaires officiels. Jetons, par exemple, un regard sur la consultation du diocèse de Montréal.
Celle-ci fait preuve d’ouverture. Les sujets y sont détaillés et comporte de multiples questions dont certaines sont particulièrement ouvertes : « Autres commentaires, défis et recommandations que vous voudriez exprimer sur ce sujet? Lesquels? » Cependant, le mouvement de la relation Église-famille, qui se manifeste dans ces questions, est unidirectionnel – de haut en bas – et la parole n’est jamais donnée aux membres des familles eux-mêmes. On parle toujours de la famille à la troisième personne. C’est comme si l’Église toujours prête à (et sans doute toujours capable de) servir n’avait besoin que de cibler les besoins de l’autre sans qu’on puisse questionner cette attitude condescendante. On est loin « du sentir, du ressentir, de l’empathie » qui caractérise l’anthropologie de l’actuel évêque de Rome.
Enfin, on doit mentionner un autre écueil dans cette démarche de réflexion commune souhaitée par le pape François : celle de l’importance qu’on accorde à cet exercice et à ses résultats, non seulement en ce qui concerne le temps qu'on lui a consacré, mais aussi la façon dont on traitera les réponses.
En fait, les échéances sont rapides. À Montréal, on y a consacré un mois, février, pour pouvoir faire rapport à la Conférence des évêques du Canada. Comment s’attendre à une consultation sérieuse des fidèles d’ici en si peu de temps, d’autant plus qu’ils ne sont guère habitués à ce genre d’exercice. Plus important encore : on s’inquiète du sort qu’on fera aux réponses envoyées. Comment traduira-t-on et évaluera-t-on les différentes tendances? D’autant plus qu’on sait d’avance qu’au Canada, les résultats concrets de ces consultations seront tenus secrets. On trouvera d’autres moyens de faire passer le message : en écrivant au nonce, au Vatican ou tout bonnement sur Internet... Et pourquoi pas à François lui-même!
Il faut remarquer que cette politique du secret qui suscite méfiance à la base va à l’encontre de l’exemple de celui que d’aucuns aimeraient appeler le souverain pontife. Le pape François n'a pas hésité à publier les résultats de la première session du Synode. Son ouverture nous permet non seulement de connaître les propositions votées majoritairement, mais aussi les minoritaires. Il a poussé la transparence jusqu’à donner le nombre de votes pour chacune. Voilà qui permet de voir l’état de la situation et de ne pas favoriser l’illusion de la pensée unique. Mais on a si peu l’habitude d’un dialogue ouvert en cette Église, qui restait jusqu'à maintenant une monarchie absolue.
Au fond, cette question de la participation à la réflexion sur les enjeux du présent synode pose les grands axes de la révolution ecclésiologique du pape François. S’agit-il d’une Église au-dessus du monde, dont les fonctionnaires peuvent juger du haut de leur théologie, ou d’une communauté de gens capables de sentir le désarroi de l’autre et de cheminer avec lui dans la miséricorde du Dieu révélé en Jésus-Christ.
Il va sans dire que toute information sur d’autres expériences ou tout commentaire sont bienvenus (que vous pouvez faire plus bas). Nous avons tout avantage à parler franchement d’un tel sujet.