« Où serait l’Église s’il n’y avait pas les femmes? »
Les sentiers que nous présentons sont habituellement des parcours inédits plus ou moins conformes au cadastre officiel de l’Église.
Les sentiers que nous présentons sont habituellement des parcours inédits plus ou moins conformes au cadastre officiel de l’Église. Mme Annine Parent les fréquente particulièrement depuis une décennie. Cependant, durant ses 25 ans de travail à l’intérieur de l’appareil, elle s’est frayé un sentier dans les plus hautes instances diocésaines en assumant des fonctions exceptionnelles pour une laïque et, particulièrement, pour une femme.
C’est en 1985 que le cardinal Louis-Albert Vachon, un primat de l’Église canadienne, capable d’audace, nomme Annine Parent responsable de la pastorale du diocèse de Québec, une direction habituellement confiée à un évêque auxiliaire. Imaginez diriger un service qui anime 233 paroisses, sans compter le nombre de prêtres, de curés, d’évêques, de religieux et religieuses. Il faut dire que Son Éminence avait déjà travaillé à l’extérieur du monde clérical, spécialement comme recteur de l’Université Laval. Il connaissait les capacités des femmes au travail. Mme Annine Parent exerça toutes les fonctions et tous les privilèges dévolus à ses prédécesseurs. Seule limite : si elle siège au Conseil presbytéral avec droit de parole, elle n’a pas le droit de vote (parce qu’elle n’est pas ordonnée).
Cette expérience heureuse pour Mme Parent comportait cependant une double solitude connue de celles qui ont percé dans l’univers patriarcal. D’une part, elle n’est pas « one of the boys » : il y a des solidarités entre ses collègues clercs qui lui échappent. Par ailleurs, elle subit une énorme pression de femmes qui s’imaginent que ses pouvoirs lui permettent de réaliser, comme par miracle, leurs aspirations communes en Église.
Au milieu des années 1990, les forces cléricales des plus hautes instances comme de la base se conjuguent pour revenir au statu quo ante. Jean-Paul II et le cardinal Ratzinger déclarent la fermeture de la question de l’ordination des femmes. À Québec, lorsque Annine Parent prend sa retraite, la responsabilité de la pastorale passe à six vicaires épiscopaux.
Mme Parent assume cette régression en se référant au Dialogue des Carmélites de Bernanos, récit de l’emprisonnement et de l’exécution des Carmélites de Compiègne durant la Révolution française. On y explique que la mort angoissée de la prieure, une mort qu’on trouve « trop petite » pour elle, femme de courage et de foi, n’était qu’un échange avec la mort d’une autre qui, le moment venu, trouverait plus facile de passer par un chemin déjà ouvert...
D’ailleurs, Mme Parent n’abandonne pas la fréquentation de sentiers, même loin du pouvoir. Pour elle, l’Église n’est pas la propriété exclusive des évêques et elle s’en sent tout autant responsable. Elle continue à collaborer avec le groupe Femmes et ministères et différents groupes sociocommunautaires.
Ainsi, l’an dernier, elle présidait la célébration de la Parole au colloque organisé par le Centre Justice et foi en collaboration avec l’Autre Parole, le Centre Saint-Pierre et le groupe Femmes et ministères, sous le thème : « L’accès des femmes aux ministères ordonnés : une question non réglée! » Ce colloque a réuni plus de 130 femmes durant une fin de semaine.
Quand on lui demande comment elle peut continuer de militer en ce sens après le diktat de la Congrégation de la Foi, elle rétorque : « On ne peut fermer les consciences à double tour! » Du même souffle, elle déplore le silence de plusieurs évêques québécois pour qui, elle le sait souvent par des confidences, l’Église devrait ordonner des femmes. Et d’enchaîner : « Où serait l’Église s’il n’y avait pas les femmes? » L’esprit de la grand-mère irlandaise reste vivant!
Je me contente d’illustrer son engagement communautaire par un extrait de courriel qu’elle me faisait parvenir au soir de notre entrevue : « Je reviens d’un cocktail-bénéfice qu’une équipe que je préside organisait pour venir en aide au Piolet, groupe d’insertion au travail pour des jeunes en difficulté de 18 à 35 ans. Je suis contente. Un franc succès. Les jeunes se sont surpassés. Comme ils apprennent, chez nous, un métier dans la restauration (aide-serveur, cuisinier ou traiteur), ils avaient été jumelés à dix grands chefs de la région de Québec avec qui ils ont préparé ce qui devait être servi aux invités. Nous avons certes ramassé des sous. Ce qui reste plus important à mes yeux : nous leur avons donné l’occasion d’être fiers, applaudis et félicités. Ils étaient reconnus, valorisés. C’est important, n’est-ce pas, si on veut se sortir de la misère noire? »
Qu’il s’agisse d’œuvrer dans un conseil épiscopal ou avec des apprentis cuisiniers, pour Mme Annine Parent, il s’agit toujours « de proclamer et de servir l’Évangile, de travailler pour la justice, de porter un message d’espérance et de libération pour une nouvelle humanité ».