Sentiers de FoiVolume 10 - no 135

Suivre Jésus et Marx

Guy Côté
Le radicalisme n’a pas bonne presse dans un contexte où la « radicalisation » de certains jeunes convertis à l’islam est associée au fanatisme et au terrorisme.
Le radicalisme n’a pas bonne presse dans un contexte où la « radicalisation » de certains jeunes convertis à l’islam est associée au fanatisme et au terrorisme. Sur l’autre versant des options politiques, le jusqu’au-boutisme du Tea Party aux États-Unis ou du Front national en France n’ont pas de quoi valoriser le refus des compromissions au nom d’un parti pris absolu. Faire figure de « radical » expose au risque d’être disqualifié dans les cercles bien-pensants et proches des pouvoirs. Jean-Paul Asselin est familier de ce choix risqué. Prêtre de Sainte-Croix depuis 1962, ancien aumônier de la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) et prêtre-ouvrier, profondément marqué par l’abbé Joseph Cardijn, il demeure impliqué plus que jamais dans les luttes d’aujourd’hui pour une société juste et démocratique, que ce soit dans des mouvements comme le collectif Échec à la guerre ou dans des regroupements politiques tels que le NPD, Québec Solidaire et la CLAC (Convergence des luttes anticapitalistes). Très tôt, ses options ont été fermement orientées vers une transformation radicale des structures politiques et économiques dominantes. Dès 1975, il devient membre des équipes « Calama», nées dans le Chili de Pinochet et importées au Québec par Guy Boulanger, o.m.i. Leur objectif pastoral était de former des « chrétiens révolutionnaires » en créant des communautés nouvelles, engagées socialement et politisées. « Cela m’a structuré, cadré davantage dans ma réflexion et mes engagements. En équipe, nous nous sommes initiés à l’analyse marxiste par la lecture assidue de Lire le capital d’Althusser », affirme ce prêtre. Cette option lui paraît conforme à celle de Jésus, condamné à mort par les pouvoirs civils et religieux, qui se sentaient menacés par sa parole et ses gestes libérateurs en faveur des exclus et par son annonce d’un royaume où ils seraient les premiers. Aux yeux de Jean-Paul, « Jésus vivant aujourd’hui, c’est aussi l’ensemble des pauvres, en plus d’une personne réelle. Or les pauvres commandent l’avenir de la société. Ils sont la clé de l’avenir de la race humaine et de l’entrée dans le royaume de Dieu (Matthieu 25). Leur imagination, quotidiennement active, est essentielle pour penser l’avenir avec réalisme. » Lorsqu’on lui demande quelle est la motivation profonde de ses engagements militants, il répond spontanément : « L’indignation constante devant tout ce qui menace et aliène les personnes. Quand ça n’a pas d’allure, je réagis avec passion. C’est à mes risques et périls tout le temps. Ma foi, c’est de partager la volonté utopique de Dieu que son règne advienne sur la terre comme au Ciel. Cette foi est tissée d’indignation, de passion et de silence devant son grand Mystère : celui de Dieu et celui de l’avenir de l’humain. » Cette compréhension de Jésus et de l’Évangile est proche de celle de la théologie latino-américaine de la libération, mais aussi d’autres théologiens influents comme Albert Nolan, pour qui Jésus attendait une révolution bien plus radicale que tout ce que les zélotes et les autres prévoyaient2, une révolution fondée sur une liberté radicale3; ou encore comme Joseph Moingt, qui voit l’essentiel de la mission chrétienne dans l’humanisation du monde en solidarité avec les exclus et les oubliés4. Cette radicalité évangélique peut prendre bien des visages, allant du combat sociopolitique à la vie monastique, en passant par l’enfouissement dans les marges sous-prolétaires ou une réflexion à contre-courant sur les conditions de la justice et de la liberté. Au cœur de toute radicalité évangélique se trouve la confidence que Jésus fait à ses disciples sur la motivation ultime de sa propre mission, lorsqu’il leur dit : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre. » (Jean 4, 34) Plus la fidélité du disciple ressemble à celle de Jésus envers son abba, plus elle est radicale : « En celui qui garde fidèlement sa parole, l’amour de Dieu atteint vraiment la perfection : voilà comment nous reconnaissons que nous sommes en lui. Celui qui déclare demeurer en lui doit marcher lui-même dans la voie où lui, Jésus, a marché. » (2, 3-11) Contrairement à l’image haineuse du radicalisme projetée par les médias, celui de l’Évangile est indissociable de l’amour. Jean Paul Asselin témoigne de cela dans sa manière de décrire l’indignation qui est à l’origine de son engagement militant : sa confiance admirative dans la créativité transformatrice des pauvres et sa colère devant tout ce qui menace la dignité des humains. Il en témoigne aussi dans sa manière fraternelle de secouer nos indifférences ou nos complicités, avec un regard lucide et une parole forte, toujours solidement documentée et pénétrée de solidarité. Jésus doit être heureux de compter un tel disciple de Marx parmi les siens!

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