Sentiers de FoiVolume 06 - no 13

Une Église sans pasteurs?

Guy Côté
« Une Église sans pasteurs? Faut-il réinventer la relation pasteurs-baptisés? » C’était la question soumise au débat par le Réseau Culture et Foi lors de son colloque du 7 mai dernier.
« Une Église sans pasteurs? Faut-il réinventer la relation pasteurs-baptisés? » C’était la question soumise au débat par le Réseau Culture et Foi lors de son colloque du 7 mai dernier. Dans son introduction à la journée, M. Alain Ambeault en présentait ainsi la portée : comment comprendre la nature fondamentale de la relation pastorale alors que l’absence d’un prêtre permanent est de plus en plus fréquente et que la relation est brisée entre une large part du peuple croyant et ses pasteurs traditionnels (prêtres, évêques, pape)? La présence de quelque 80 personnes témoignait de la pertinence de cette problématique. Comme on pouvait s’y attendre dans le cadre d’une courte journée, on n’a pu que marquer certains repères pour une réflexion à poursuivre. Les échanges ont été traversés par une tension entre le récit d’expériences créatives et la déconstruction du paradigme qui continue de les encadrer. La matinée a d’abord permis d’entendre Mme Nycole Pepper, de Saint-Jérôme, et M. Gérard Laverdure, de Montréal, nous décrire leur expérience dans un contexte paroissial et diocésain. Les deux nous ont fait part d’une redéfinition dynamique des rôles et responsabilités entre pasteurs ordonnés et laïcs répondants à l’intérieur de ce cadre. À Saint-Jérôme, Mme Pepper coordonne un regroupement pastoral de quatre paroisses avec la collaboration étroite d’un prêtre modérateur qui demeure le ministre de la parole et des sacrements, comme pasteur répondant à l’évêque. Après plusieurs années dans des contextes non paroissiaux (Action catholique, communautés de base, etc.), M. Laverdure est engagé à la paroisse Saint-Pierre-Apôtre, à Montréal, qui évolue vers un statut de mission sur une base non territoriale et où le conseil de pastorale a une responsabilité décisionnelle. Dans ces deux cas, le rôle pastoral est élargi à des laïcs : accompagnateurs spirituels, éducateurs de la foi, témoins parfois hors normes... Selon la belle expression de Mme Laurette Lepage citée par M. Alain Ambeault, le don pastoral n’est-il pas finalement confié à tous les baptisés? Au fil de leur récit, Mme Pepper et M. Laverdure ont signalé des limites et des conditions de réalisation qui révèlent une certaine précarité de leurs expériences. Parmi les limites : la résistance encore fréquente du clergé à reconnaître une coresponsabilité du pastorat laïque sur le plan spirituel, un climat de rectitude politique dans l’institution, une volonté persistante de contrôle dans la hiérarchie cléricale, la recherche de sécurité morale parmi les croyants et les croyantes au lieu d’un exercice collectif de discernement, la difficulté de trouver et de former les ressources humaines nécessaires... Et comme conditions d’évolution : la nécessité d’une vision partagée entre les responsables à tous les niveaux, une passion commune pour le projet pastoral dans une perspective d’ouverture aux changements nécessaires, la capacité de dépasser les débats internes afin de préparer les conditions d’une expérience chrétienne et ecclésiale pour les générations montantes... l’exercice critique un cran ou deux plus loin, M. André Myre s’est employé à contester le lien entre l’Église et le projet de Jésus et à démontrer la non-nécessité des formes actuelles d’organisation ecclésiale. Jésus n’a rien dit sur un groupe destiné à lui succéder, les documents chrétiens les plus primitifs (source Q) ne parlent pas de la structure ou des fonctions requises dans un tel groupe, les modalités d’organisation initiales n’ont rien de normatif pour la suite des temps. Le groupe des disciples a évolué sous l’influence des modèles culturels qu’il avait sous les yeux et la pression des besoins de chaque époque, en exerçant au mieux son discernement. L’essentiel était et est toujours de vivre comme Jésus et, ensuite, de s’organiser comme cela semble bon, sans chercher à s’autoriser d’un « plan » de Jésus ou d’une conformité à un modèle primitif. Tout est affaire de foi, d’initiative et de discernement. Au long de la journée, un certain nombre de perceptions et de questions ont affleuré dans les conversations ou en en atelier :
  • La vie précède la structuration et pousse vers les changements nécessaires. La période actuelle de transition donne lieu à des expériences qui indiquent des chemins à explorer, mais ne font qu’amorcer des évolutions beaucoup plus importantes.
  • Les changements viendront de la base plutôt que de la tête, sous l’impulsion de l’Esprit répandu chez tous les baptisés.
  • Allons-nous vers « une Église vraiment fraternelle » ou sommes-nous limités à des expériences exceptionnelles?
  • En plus des questions habituelles sur l’ordination sacerdotale de femmes ou d’hommes mariés se pose celle de la nécessité d’un clergé pour répondre aux besoins pastoraux. Le « don pastoral » confié aux baptisés de même que leur statut de « prêtres, rois et prophètes » ne devraient-ils pas permettre de trouver au sein du peuple de Dieu tous les ministères requis? N’y aurait-il pas lieu d’officialiser une diversité de ministères avec des mandats pastoraux spécifiques, assumés par des laïcs?
  • Faut-il aller dans le sens d’une structuration complexe des services pastoraux – même redéfinis ou redistribués – ou privilégier la formation de communautés de foi avec un type d’animation plus souple, laissant toujours place au rôle indispensable de rassembleur?
  • Selon l’analyse d’André Myre, l’Église pourrait-elle être appelée à se transformer en une constellation de réseaux qui constitueraient une mouvance informelle plutôt qu’une institution, quelque chose comme « le mouvement de Jésus »?
Ce genre de questionnement peut se faire librement dans le cadre d’un colloque, mais devient plus exigeant lorsqu’on se demande par où commencer et jusqu’où l’on veut aller. Qu’est-ce que le peuple de Dieu a besoin d’« instituer » pour demeurer fidèle à l’Évangile dans la cohérence et la durée? Quels chemins concrets devrait emprunter notre responsabilité dans la liberté ? Nous nous trouvons à une époque charnière où nous pressentons l’ampleur du processus de déconstruction et de réinvention qui s’annonce sans être encore en mesure d’en dessiner les contours ou d’en prévoir les aboutissements. Le mot clé de la journée du 7 mai a sans doute été discernement. Pourrons-nous apprendre à lire ensemble les signes des temps, comme nous y invitait le concile Vatican II?

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