Dieu fait chair dans le pauvre corps banal
Quoi de plus banal et parfois de plus frustrant qu’un message enregistré de répondeur téléphonique? Pourtant, les quelques mots qu’André Patry ajoute aux propos fonctionnels habituels (« pas là, laissez message, répondrai ») valent la peine qu’on les relise généreusement en donnant à chacun tout son sens1.
Quoi de plus banal et parfois de plus frustrant qu’un message enregistré de répondeur téléphonique? Pourtant, les quelques mots qu’André Patry ajoute aux propos fonctionnels habituels (« pas là, laissez message, répondrai ») valent la peine qu’on les relise généreusement en donnant à chacun tout son sens1.
D’un ton calme, presque solennel, il vous fait un vœu qui vous renvoie, comme toute personne, à notre condition humaine. Tout d’abord, pour aujourd’hui, il vous souhaite la paix. Mieux : de goûter la paix, d’en jouir. Ainsi, il précise que la paix n’est ni chose ni abstraction, mais un bien qu’appelle notre corps violenté dans les tourbillons des tensions personnelles ou politico-sociales. Ensuite, il reconnaît notre identité de marcheurs et marcheuses et nous souhaite de rencontrer un regard d’amour, sans lequel la route risque d’être vouée à la solitude, pis, au non-sens et à l’indifférence.
Que 17 mots. Rien d’autre. Mais ici, la réponse mécanique, la situation banale, voire frustrante, de buter à l’absent débouche sur d’autres dimensions. Comme un mandala, un résumé d’un monde précaire et violent, mais aussi porteur d’une anthropologie du salut. Le message s’élève presque en prière : l’espérance qu’un regard aimant nous encouragera à continuer la marche. Notons qu’André Patry ignore, mais respecte, les convictions profondes de la personne qui lui téléphone. Il s’abstient de références religieuses autres que des valeurs partagées : le goût, la route, la paix, l’expérience du regard significatif.
Pourtant, qui fréquente l’écriture y trouvera l’écho des Béatitudes2. Même structure : un monde en creux, en quête et, aussi, en bosse; une possibilité d’être sauvé par l’autre; un monde ouvert dont les acteurs se définissent avant tout par leur humanité (avoir faim, chaud, froid; pleurer... être capable de vêtir le corps nu ou de visiter en prison).
Voilà l’articulation de base de la spiritualité, de l’approche d’André Patry, à la ville comme à la prison. On est loin du fonctionnaire de Dieu qui s’épuise à mesurer les péchés ou à maintenir le conformisme liturgique. Loin du discours autoritaire paranoïaque qui défend les principes sans se soucier des blessures qu’il inflige alors aux pauvres gens. L’approche de Patry se veut incarnée, respectueuse de la liberté de l’autre, consciente de la complexité douloureuse de la situation. « Ne pas juger, ils ont tellement été jugés... ne jamais poser de questions, respecter le droit au secret, ils ont déjà tellement subi d’interrogatoires3. »
Chez lui, le don gratuit de l’infinie miséricorde de Dieu pour chacun et chacune précède éminemment la loi morale. Par exemple, le dialogue suivant4 :
Détenu : « Père Jean5, pourquoi vous ne me parlez jamais d’amender ma vie? »
Réponse : « Est-ce que tu en changerais si je t’en parlais? »
Riposte immédiate : « Pour sûr que non! »
Conclusion du père : « Alors à quoi ça servirait d’en parler? »
Pour le père Jean/André Patry, ce qui compte, ce qu’il faut préserver, c’est d’abord le lien, car c’est à partir de lui – de ce regard d’amour – qu’on pourra accompagner l’autre quand, dans sa liberté, il entreprendra le difficile changement de vie. Qu’on est loin de certaines logiques d’« ex-communion » où le prodigue affamé doit montrer sa carte de conformité pour avoir accès à la table du Père. Pour Patry, Dieu n’attend pas qu’au ciel, mais souvent, au cœur ou au fond de la prison. Il faut savoir le soin tout particulier qu’il prenait, malgré la fatigue des lourdes cérémonies de Noël ou de Pâques, à visiter les gars au trou, c’est-à-dire la prison dans la prison, pour les cas de crises graves. Jean Patry s’alimente à la méditation et à l’eucharistie quotidienne. Il fréquente aussi régulièrement les sœurs de mère Teresa, les Petites Sœurs de Jésus (Foucault) ou les Carmélites (la petite Thérèse, Edith Stein, comme celles du Carmel de Montréal). Des femmes qui trouvent Dieu chez les plus pauvres ou derrière les barreaux du cloître. Car notre Dieu se fait aussi chair dans le corps banal des plus pauvres comme des prisonniers.