L’autre Parole ou une Ecclesia des femmes
Année 1976. La révolution culturelle féministe bat son plein. Les femmes dénoncent le système patriarcal qui a occulté leur présence dans l’histoire, limité leur accès à la vie publique et prétend encore régir leur vie. Elles revendiquent l’égalité de droits. Une situation d’aliénation qu’on retrouve, sous certains aspects, plus marquée dans l’Église catholique.
Année 1976. La révolution culturelle féministe bat son plein. Les femmes dénoncent le système patriarcal qui a occulté leur présence dans l’histoire, limité leur accès à la vie publique et prétend encore régir leur vie. Elles revendiquent l’égalité de droits. Une situation d’aliénation qu’on retrouve, sous certains aspects, plus marquée dans l’Église catholique. C’est alors que trois théologiennes québécoises, Monique Dumais, Louise Melançon et Marie-Andrée Roy, auxquelles se joindront d’autres femmes de formations différentes, décident de fonder L’autre Parole, une collective de femmes chrétiennes et féministes. Elles n’hésitent pas à se solidariser avec le mouvement des femmes qui fait souvent peur dans les milieux religieux. Pour elles, les revendications de justice sociale du féminisme s’inscrivent dans les perspectives de la théologie de la libération. C’est la belle époque où l’on rêve encore de l’ouverture de Vatican II.
Cheminer seule...
Quelques essais de dialogue avec les instances officielles de l’Église révèlent vite l’impasse. L’autre Parole décide alors d’assumer son autonomie, de cheminer seule, sans soutien ecclésial institutionnel, d’être aux marges de l’Église, comme il faut le reconnaître au départ au sein d’un mouvement féministe qui associe absolument religion et patriarcat.
Au fil des ans, des groupes de conscientisation se forment à Montréal, Rimouski, Sherbrooke, Québec et Gatineau. La tradition s’instaure : rencontres régulières de ces groupes particuliers durant l’année; trois ou quatre réunions annuelles du comité de coordination; à la fin de l’été, un colloque qui regroupe des femmes de tout âge et horizon; enfin, quatre fois par année, paraît le bulletin de la collective qui en porte d’ailleurs le nom, L’autre Parole. (Remarquons qu’il s’agit de la plus ancienne publication féministe militante qui soit encore publiée régulièrement au Québec. Elle compte maintenant 108 numéros.) Il s’agit certes de partager la réflexion, mais aussi d’offrir des propositions d’action.
Prises de positions majeures...
Ainsi L’autre Parole a adopté deux importantes prises de position : L’avortement, paroles de femmes et parole de vie et Oui à l’ordination des femmes1. Les membres de différents groupes ont travaillé à la réécriture de certains textes bibliques. Elles sont même allées jusqu’à reformuler la liturgie des grandes fêtes chrétiennes (Noël, Pâques et Pentecôte) et à en réaliser la célébration.
Ce travail théologique, liturgique et politique est sans doute un exemple de ce que la théologienne Elyzabeth Schüssler-Fiorenza appelle l’Ecclésia des femmes. En l’occurrence, il s’agit d’un lieu non exclusif (celles qui le fréquentent ne se coupent pas d’autres lieux chrétiens), non sexiste (la présidence et l’animation ne sont pas l’apanage du mâle, mais la participation aux célébrations est souvent ouverte aux deux genres), mais surtout d’un lieu identifié par sa sensibilité et son engagement politique. Il y a là un style bien particulier. Exemples : un sens de la créativité; une place faite à l’expérience du corps, à l’humour; une espérance contre toute espérance qui n’occulte pas la conscience d’une conjoncture aliénante concrète; la simplicité volontaire dans les moyens d’organisation; un souci critique constant s’y manifeste par une écriture la plupart du temps collective; idem pour les liturgies qui prennent toujours la forme de concélébration. Autant d’éléments qu’on ne retrouve guère dans la liturgie catholique officielle. Enfin, il y a surtout une dimension militante marquée. Ces femmes, féministes et chrétiennes à la fois, n’attendent pas la permission d’un patriarcat souvent de plus en plus dur dans son exclusion des femmes du chœur pour obéir au mandement de Jésus le Christ de célébrer sa mémoire.
Continuer à créer la justice
Et l’action se fait de plus en plus large. À la fin des années 90, L’autre Parole organise, avec des femmes de différentes appartenances, une célébration interspirituelle qui sera un des évènements clés des activités de la Marche mondiale des femmes à Montréal (octobre 2000). Fortes de cette expérience, certaines militantes de L’autre Parole ainsi que de la Grappe féministe interspirituelle, en collaboration avec Women Doing theology, préparent durant des années une rencontre pancanadienne de cent cinquante femmes (Montréal, juin 2005) de tout horizon, sous le thème, « Créons la justice, reconnaissons les différences/Creating justice, recognising differences ». La revue L’autre Parole consacre son numéro 108 à cet événement tout comme la revue Making waves du Womens’ Inter-Church Council of Canada, son numéro d’hiver 2006.
Nihil obstat,
Marie-Andrée Roy