Sentiers de FoiVolume 06 - no 06

L’instant présent, lieu de guérison et de présence réelle

Marie-Hélène Carette
L’intuition fondamentale du médecin suisse a jailli de sa propre expérience d’accompagnement de malades en déficit de présence à l’instant présent.
L’intuition fondamentale du médecin suisse a jailli de sa propre expérience d’accompagnement de malades en déficit de présence à l’instant présent. Son intuition portait sur la réalité des troubles nerveux qui surgissent du fait de l’émissivité surpassant la réceptivité, au point de créer un déséquilibre non seulement sur le plan cérébral mais aussi dans l’attitude globale du sujet dans la vie quotidienne. Vittoz a ouvert le chemin d’un rééquilibre passant directement par l’expérience sensorielle de rétablissement de la réceptivité au moment présent. Les exercices qu’il proposait visaient essentiellement le rétablissement dans la vie consciente; les moyens simples le favorisant donnèrent des résultats concrets dans la vie de ses patients. Qu’en est-il pour nous aujourd’hui? Il semble que l’héritage vittozien puisse avoir de l’impact sur notre expérience de vie en partant du même principe, à savoir que nous émettons souvent plus que nous ne recevons du réel; que ce soit sous forme de jugements de valeur, d’émotions désagréables ou de présupposés. D’où un déséquilibre, comme un survoltage du faux-moi en quête de sécurité, de reconnaissance et de pouvoir. L’espace intérieur du sujet est occulté, tout comme sa présence à lui-même dans l’accueil du réel, ici/maintenant. Ainsi, l’inconscient prend le pas sur le conscient chez le sujet : une dilution de son visage d’humanité est repérable sur les plans de l’action, de la relation et de la réflexion. La personne devient malade ou robotisée, absente d’elle-même. Un premier regard sur l’action nous apprend à reconnaître à quel point notre monde présent est dominé par une logique de l’urgence, et que sans rétablissement conscient, le sujet court vers sa perte dans un épuisement sans fin : combien sommes-nous en réalité bien plus portés à réagir qu’à agir? Ici, la réceptivité du sujet opère un espace où la volonté se situe et « respire », si l’on peut dire : cet espace salutaire en est un de réceptivité et de présence réelle à soi, d’où résulte non pas une réaction mais plutôt un acte volontaire de l’ordre de « que ton oui soit oui et ton non soit non »; on pourrait même affirmer qu’un tel acte issu de la réceptivité du sujet en est un de création plutôt que de réaction; ultimement, de contemplation, puisque le passage de la réaction à la création peut y conduire. Un second regard sur la dimension relationnelle nous apprend qu’une véritable relation à l’autre ne va pas de soi : il y a tant de préoccupations qui souvent parasitent la présence à l’autre du sujet dans l’ici/maintenant et occultent son ressenti, au point qu’il lui devient difficile de se re-situer en mode « réceptivité », non seulement de l’autre personne, mais aussi de soi-même. S’accueillir « tel quel » avec ce que l’on porte dans l’ici/maintenant devient un acte conscient et nettoie l’espace intérieur tout comme l’espace relationnel, au sens où la vérité sur soi rétablit une relation authentique à l’autre. S’accueillir soi-même comme étant fatigué, dépassé ou même dans un état de fermeture devient lieu conscient où il est possible à un sujet d’être avec l’autre en vérité. Tout comme il est possible d’accueillir en soi la joie et la paix dans l’ici/maintenant avec l’autre. Loin de refermer sur soi, la vérité de son être accueilli « tel quel » dans l’ici/maintenant ouvre un espace insoupçonné de relation vraie à l’autre : c’est ainsi qu’il devient possible de se situer dans la relation, plutôt que de l’éviter et de vivre sous un mode « émissivité » qui a tôt fait d’épuiser le sujet. Se pourrait-il alors que les fondements de l’approche vittozienne rejoignent en leur essence, les grands courants de spiritualité? À titre d’exemple, un moine trappiste, Thomas Keating, reprenant avec ses frères moines (Basil Pennington et William Meninger, o.c.s.o.) les fondements de la spiritualité des Pères et Mères du Désert, et s’inspirant du Nuage d’inconnaissance1, propose une approche spirituelle de même qu’une démarche concrète de prière qu’il nomme Centering Prayer que nous pouvons traduire par « prière de consentement »; la démarche proposée2 rejoint en son essence l’approche vittozienne, au sens où elle privilégie aux méditations discursives une attitude de réceptivité et d’accueil dans l’ici/maintenant comme chemin privilégié d’union aux autres et à Dieu. Enfin, un troisième regard nous porte vers la dimension réflexive de notre visage d’humanité. En effet, redonnant au malade sa place de sujet, en choisissant d’inverser l’émissivité cérébrale et de se placer en mode « réceptivité », Vittoz, du coup, redonne son pouvoir à la personne; au sens où celle-ci, grâce à une présence accrue à elle-même à la suite d’exercices fort simples mais efficaces, du même ordre que ceux des sages du Désert des premiers siècles du christianisme, retrouve son espace intérieur désencombré; dès lors, il devient disponible à recevoir ce qui jaillit de ses profondeurs, et qui est de l’ordre de son identité profonde. Ainsi, le sujet « rendu à lui-même », passant de l’émissivité à la réceptivité, devient de plus en plus en mesure d’accueillir ce qui l’entrave et qui est de l’ordre de l’ombre; Jung sur ce point ouvre avantageusement la voie3 : accueillir ce qui monte des profondeurs et semble effrayant à première vue ne tue pas le sujet, mais au contraire, lui donne de passer à des niveaux de conscience (awareness) qui le rendent apte à s’intérioriser, s’accueillant avec ses limites, et se découvrant habité non seulement de lui-même, mais de la réalité ultime qui le constitue. De ce lieu de son intériorité, la personne, au lieu de se diluer dans l’insignifiance du temps qui passe au point d’en devenir désorientée ou malade, devient capable de liberté et de dépassement. Pouvons-nous ici risquer de parler d’ouverture à l’interdépendance, dans la ligne de l’amour des ennemis et des artisans de paix? Et si l’ici/maintenant, accueilli en toute conscience, devenait lieu de guérison, mais aussi de découverte et de joie imprenable4? N’est-ce pas vers ce lieu du « Royaume au milieu de nous » que nous convie Jésus, le Maître intérieur de l’Évangile, comme aussi les sages tels Bouddha, Gandhi ou Krishnamurti qui ont privilégié la voie de l’intériorité?

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