Sentiers de FoiVolume 11 - no 141

Laudato si’ – enfin!

André Beauchamp
Au moment où vous lirez le présent texte, vous aurez déjà vu ou entendu une multitude de commentaires sur la lettre encyclique du pape François Laudato si’.
Au moment où vous lirez le présent texte, vous aurez déjà vu ou entendu une multitude de commentaires sur la lettre encyclique du pape François Laudato si’. Cela fait des années que l’on attendait un document majeur de l’Église catholique en ce sens, mais on ne trouvait pour l’instant que des bribes à caractère spirituel ou éthique venues de Jean-Paul II et de Benoît XVI, mais pas d’effort en profondeur pour repenser la vision chrétienne à partir de la crise écologique. La crise écologique n’est ni un accident ni un incident de passage. C’est l’impasse d’un type de développement et de pensée. C’est un échec assez radical malgré (ou à cause de) l’apparente facilité de vivre et les hauts niveaux de consommation du mode de vie qui est le nôtre en Amérique du Nord, en Europe et dans les classes aisées de toutes les sociétés. Nous vivons dans l’illusion. Nous faisons fausse route. Il y a bien crise, dit François. Et la crise est anthropique. Elle est le fruit d’un anthropocentrisme abusif et d’une confiance déraisonnée dans la science et la technique. Il s’ensuit une manière unilatérale de voir et de sentir. Problème de culture profonde, d’éthique et de spiritualité. François nomme ce courant «paradigme technocratique» : « Le paradigme technocratique est devenu tellement dominant qu’il est très difficile de faire abstraction de ses ressources, et il est encore plus difficile de les utiliser sans être dominé par leur logique.» (no 108) «Le paradigme technocratique tend aussi à exercer son emprise sur l’économie et la politique.» (no 109) Tout le chapitre 3, qui essaie de cerner ce paradigme, le décrit de façon intéressante (nos 101 à 136), mais les notes infrapaginales pour fonder l’analyse (nos 81 à 113) sont ecclésiales et un seul « penseur » est donné en référence, Romano Guardini, qui fut le maître de Joseph Ratzinger. Il y a probablement ici l’apport de Benoît XVI, revu à la sauce François. On aurait pu s’appuyer sur bien d’autres penseurs comme Ivan Illich, Jacques Ellul, Edgar Morin, Ilya Prigogine. On se rappellera l’apologie de Sartre comme quoi l’existentialisme est un humanisme. Mais Sartre lui-même était stalinien. Ce que la crise révèle, c’est que la pensée technocratique close est un antihumanisme, destructeur du milieu écologique et du milieu humain. Nous pourrions dire : seule une approche large et holistique, ouverte à la transcendance peut rendre compte de ce que Weber appelle l’infinie complexité du réel. Au fond, je pense que la visée de fond de l’encyclique vise à proposer une nouvelle vision de la place de l’être humain dans la nature, vision soutenue, bien sûr, par la foi en Jésus Christ. S’il ne rougit pas de sa foi, François par ailleurs n’est pas sectaire et cherche à tendre la main à tous. Un constat assez modeste En ce qui concerne la crise écologique elle-même, la lettre renouvelle l’argumentaire, mais n’apporte pas d’éléments nouveaux. Déjà, en 1987, le rapport de la Commission Brundtland était tout aussi lourd et aussi explicite. Depuis 1987, l’accent s’est déplacé sur les changements climatiques, mais toutes les grandes questions étaient déjà bien cernées : perte de la biodiversité, pollution généralisée, crise de l’eau, consommation débridée surtout dans le domaine de l’énergie, urbanisation galopante, militarisation. Mais cette fois-ci, le discours est tenu par une haute figure morale. Les cris de nombreux scientifiques, de prix Nobel, de militants n’ont pas suffi. Il y a chez le pape François une autorité prophétique qui fait mouche. Il est comme au-dessus de la mêlée, comme un père spirituel. Mais son regard jaillit d’en bas à partir des victimes, des appauvris, des laissés-pour-compte. Le paragraphe 16 explicite très lucidement les paramètres qui sous-tendent l’analyse des questions abordées. Par ailleurs, au chapitre 5 (nos 163-201), la lettre analyse brièvement certains efforts de la communauté internationale. François aborde deux questions très débattues dans les cercles de la philosophie environnementale : l’anthropocentrisme et la valeur intrinsèque de tout vivant. Tout naturellement, François réaffirme l’anthropocentrisme chrétien par une relecture des récits bibliques de création (nos 66-67), mais il inscrit ce que l’on pourrait appeler l’exception humaine dans une vision mystique et holistique. La différence de ton d’avec Benoît XVI est patente. Benoît XVI (Message pour la journée mondiale de la paix, 1er janvier 2010) disait : «Si le Magistère de l’Église exprime sa perplexité face à une conception de l’environnement qui s’inspire de l’écocentrisme et du biocentrisme, il le fait parce que cette conception de l’environnement élimine la différence ontologique et axiologique qui existe entre la personne humaine et les autres êtres vivants.» C’est une forme de condamnation. François insiste moins sur la rupture que sur la continuité en faisant d’ailleurs allusion aux processus évolutifs (no 81), il insiste sur une approche holistique et inclusive et n’hésite pas à citer le poème de saint François d’Assise sur sœur eau et frère soleil (no 87). Déjà, en introduction, il avait dit : «Cette sœur (la Terre) crie en raison des dégâts que nous lui causons [...].» (no 2) François inscrit l’aspiration biocentriste dans une approche holistique. Il est bien évident qu’un document d’une telle ampleur et d’une telle ambition va soulever beaucoup de critiques de la part des politiciens, des économistes et des technocrates de l’environnement. Je pense que la lettre vise à mettre l’Église en marche, mais le niveau de langage reste difficile. Il y a par ailleurs d’innombrables perles, comme le paragraphe sur les études d’impact (no 183), sur le principe de précaution (no 186), sur les guerres déguisées en revendications nobles (no 5), sur l’éducation relative à l’environnement (nos 209 à 215), sur l’esthétique (no 215), sur la fête et le repos (no 237). Petit fait révélateur : la lettre cite beaucoup les documents issus des conférences épiscopales locales surtout comme illustration des problèmes vécus par les gens. Bon prince, François a réussi à citer les évêques canadiens : «Des vues panoramiques les plus larges à la forme de vie la plus infime, la nature est une source constante d’émerveillement et de crainte. Elle est en outre, une révélation continue du divin.» (no 85) Quelle lucidité et quelle force de protestation de la part de notre épiscopat quand on sait que le Canada, leader à Rio et fer de lance du Protocole de Kyoto, est devenu en 15 ans le cancre de la classe. Nous avons beaucoup à faire pour favoriser la réception de l’encyclique Laudato si’ dans notre milieu.

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