Sentiers de FoiVolume 08 - no 119

Se réclamer de plusieurs traditions

Yves Rochette
Ça prend une certaine dose de courage pour affirmer vivre une expérience qu’on associe au syncrétisme religieux, à la double appartenance, à la mixité religieuse, à l’hybridation religieuse, etc.
Ça prend une certaine dose de courage pour affirmer vivre une expérience qu’on associe au syncrétisme religieux, à la double appartenance, à la mixité religieuse, à l’hybridation religieuse, etc. C’est que le syncrétisme fait l’objet de nombreuses critiques : qu’elles soient théologiques – comme la trahison d’une vérité de foi; qu’elles soient philosophiques – comme l’inconsistance; qu’elles soient spirituelles – la superficialité; ou qu’elles soient herméneutiques – la perte de l’identité1. Le témoignage de Daniel Fradette n’a rien d’un parcours désinvolte, tracé par hasard et selon des humeurs changeantes. Au contraire! Fondé sur un christianisme nourri et vivant, Daniel explore la rencontre des autres traditions religieuses comme un appel authentique. Son histoire de foi n’est pas fortuite. Il assure répondre à un appel depuis son tout jeune âge; une vocation particulière qui se déploie hors des sentiers d’un christianisme à participation exclusive, et ce, en vue de la rencontre de l’autre et du Transcendant. Il faut savoir que la multiappartenance est une expérience qui reçoit de plus en plus d’attention de la part des milieux académiques. En 2011, la théologienne anglaise Rose Drew a publié la première recherche de type phénoménologique où a été analysée l’expérience de six théologiens et religieux bien en vue (aux États-Unis et au Royaume-Uni); ceux-ci ayant fait leur « coming out » sur leur multiappartenance religieuse. Cette recherche serait la plus documentée à ce jour. Rose Drew y affirme : « L’identité religieuse mixte est de plus en plus commune et est en pleine croissance en Occident [...]. Elle illustre cette possibilité de vivre sous l’influence de plus d’une tradition religieuse2. » Cette expérience nous renvoie aux enjeux de la rencontre et du dialogue avec l’autre. Mais jusqu’où aller dans cette rencontre? Y a-t-il une ligne tracée, une frontière que l’on ne peut traverser? À ces questions, il n’y a pas de réponses simples. « La complexité de l’expérience du syncrétisme nous condamne à une longue enquête pour comprendre de quoi l’on parle ou, plus exactement, identifier qui parle de quoi, depuis quand et dans quelle perspective, lorsque le mot est employé, en bien comme en mal – en mal le plus souvent3. » Chose certaine, l’expérience du syncrétisme existe depuis que le monde est monde. Tous les historiens des religions s’entendent même pour dire qu’elle participe nécessairement à la création des religions4. Le récit de M. Fradette fait état de sa réflexion rigoureuse comme de son expérience profondément humaine. Gageons que, dans la relecture qu’il en fait, son parcours le surprend lui-même! « La vie spirituelle interreligieuse est en avance sur la réflexion théologique proprement dite. Les pratiques ont changé : pratiques de dialogue, de solidarité, de prière commune, d’évangélisation, d’inter communion, d’échange, d’hospitalité, etc.» Les mots que choisit M. Fradette pour nous décrire son sentier de foi sont éminemment expérientiels : aller à la rencontre; embrasser radicalement; vibrer; s’imprégner; s’émerveiller; des sons; des odeurs; des couleurs... Il compare son expérience à l’apprentissage d’une langue, différenciant avec considération la maternelle et la seconde. Il parle de sa quête spirituelle comme d’un « débat intérieur, de turbulences, puis de sérénité et de lâcher-prise ». Il y a là l’expression d’un parcours de foi à n’en pas douter. Qu’il soit différent, en est-il moins authentique pour autant? Il s’agit de s’arrêter quelque peu pour se rendre compte que les expériences spirituelle et religieuse se présentent sous le signe de la diversité. Et l’irénisme émerge comme une exigence de plus en plus réclamée par les croyants et croyantes. Les générations à venir ne peuvent plus s’imaginer sans la possibilité de cette ouverture infinie sur toutes les cultures et leurs expressions6. Nous côtoyons dorénavant de manière rapprochée, voire intime, une multitude de cultures, de coutumes, d’opinions et... de croyances! Cette réalité ne peut faire autrement que de nous façonner, qu’on y soit ouverts ou pas. « Le pluralisme religieux dont sont marquées les sociétés contemporaines offre, comme jamais auparavant, de s’abreuver à plusieurs puits. » (Bergeron, 2004, p. 8) Doit-on voir ces expériences de mixité comme un idéal à promouvoir? Là n’est pas la question! N’importe quelle adhésion à un courant spirituel est un acte radicalement libre et intime. « Le parcours vers Dieu ne peut être que personnel et le cheminement dans la foi est toujours celui d’un sujet ou d’un “je” dont la destinée est originale et la condition existentielle, unique. » (Bergeron, 2004, p. 156). C’est qu’à mon avis, on ne peut plus aujourd’hui, muni d’une théologie vétuste, tenir le discours péjoratif de la religion à la carte. Le sentier de foi de ce numéro est un témoignage inspirant et frais dans l’univers parfois sclérosé de la pratique religieuse. N’est-ce pas une chance pour le dialogue interreligieux et le renouveau de la foi?

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