Sentiers de FoiVolume 08 - no 116

Les terres intérieures d’un grand poète

Lucie Brousseau
« À longtemps regarder la mer, on se fait un horizon de l’âme1.
« À longtemps regarder la mer, on se fait un horizon de l’âme1. » L’ œuvre de Gilles Vigneault semble dépositaire d’une sagesse hors du commun; elle est parsemée de traces de l’Invisible. La poésie et la profondeur de ses mots ont le pouvoir de toucher celui qui les accueille en l’accompagnant dans un voyage au cœur de la vie, au mitan de ce qu’elle revêt de plus sacré. Les paroles du poète témoignent d’une vie intérieure riche, à la fois nourrie de liberté et solidement enracinée dans la terre de ses ancêtres, Natashquan, où d’emblée on vivait en harmonie avec les autres et la nature. « Le silence, dira-t-il, (qui nous apprend plus que la parole) nourrissait tout ça. Ce silence que les millionnaires achètent à prix d’or2. » Le risque de croire

Livre Vigneault

En contemplant l’Univers dans le silence – combien il aime s’y adonner –, Gilles Vigneault ressent ce qu’il qualifie de grand vertige intérieur. « Dans la partie invisible, inquantifiable de l’Univers, il y a une présence, une essence, un être, qui, lui, aurait un ordre intérieur et un axe, une direction. Ma quête, c’est de trouver cette direction, et ce, en lien avec l’homme, avec ses erreurs, ses déchets, ses merveilles. Quelque chose de spirituel dont je ne sais pas grand-chose. Corrélation avec la matière noire qu’on n’arrive pas à voir dans l’Univers. Des invisibilités qu’on sent, qu’on sait qu’elles existent, mais qu’on ne peut expliquer. » À mesure qu’on avance dans la science, il soupçonne qu’on s’approche toujours davantage du mystère qu’est Dieu, et « le seul fait qu’on ait appelé quelque chose Dieu, Allah, Bouddha, Yahvé, le Grand Esprit ou autre... on l’a fait exister. Maintenant, on est pris avec! Il faut jouer avec! » Et Gilles Vigneault aime jouer et il prend le risque de croire.

« Ce qu’il y a de plus caché chez moi, c’est probablement le sens du sacré, c’est la foi, la foi qu’on a dans les autres, c’est la foi horizontale, et la foi verticale, la foi en d’autres choses. Ce qu’il y a de caché chez moi, c’est la prière. Prier, c’est de bonne santé dans la pratique, dans l’ordinaire [...]. » Pierre MAISONNEUVE, Vigneault, un pays intérieur, Novalis, 2012, p. 5

Il croit au Dieu qui l’a saisi, lui, en plein dans le désir profond qui le tenaille et qu’il nomme ainsi : « Devenir celui de plus que moi que je m’efforce d’être... » Une foi de poète peut-être, une foi toute proche de celle du charbonnier, qui n’exige pas de réponse. Un peu comme on jette une bouteille à la mer, ne sachant trop à qui l’on écrit et acceptant d’emblée que nous n’obtiendrons probablement jamais de réponse, nous, personnellement. C’est ainsi qu’il prie aussi. Il a appris tout jeune le pouvoir de la prière par son père, « sans dogme, sans définition, sans rien imposer, sans règles sévères, sans peur de l’enfer » et prier demeure capital dans l’expression de sa foi. « C’est à la portée de tous [et] apporte du calme. » Il dira de cet acte de foi pur que c’est une riche union avec les religieux contemplatifs de notre époque pour construire un monde meilleur qu’hier, un élan spirituel pour que les humains se transforment et deviennent « plus intelligents, plus compatissants, plus sensibles ». Dans la même ligne, il ajoutera avec conviction que « croire et croître sont intiment liés ». Au cœur de sa foi, il laisse une grande place à l’espoir qu’il y ait une vie de l’autre côté de la mort qui nous attend. Serein devant cette étape ultime de la vie, et puisqu’il soutient que nous n’avons pas le choix d’accepter notre mort, le poète de Natashquan suggère de transformer la donne : « Acceptons autrement, autre chose; plutôt vivre une autre vie. Plus exaltante, plus intéressante, plus calme et en même temps plus spectaculaire que celle que nous avons vécue. » Il admet avec humilité que la foi n’a pas de réponse à tout et que plus elle « grandit, plus elle s’accompagne du doute ». Le doute étant un conseiller précieux selon lui... « Espérer être entendu vaut plus que la certitude aveugle d’être entendu. La certitude est un mot dangereux, inquiétant pour qui réfléchit un peu. La certitude d’être entendu est aussi prétentieuse que celle de ne pas l’être! » Un devoir de mémoire

« Gilles Vigneault poursuit sa longue marche sur les chemins de pieds tracés par les ancêtres. Il ne cherche pas à convertir, il a la foi, mais n’impose rien. Il témoigne. Pour répondre à son appel intérieur, il a fait le pari de croire. » Pierre MAISONNEUVE, Vigneault, un pays intérieur, Novalis, 2012, p. 14

À notre grand étonnement, « dans un monde qui cherche à oublier les actes de foi hérités de son enfance », un monde qui tente « de désacraliser tout ce qui peut l’être », il a composé et enregistré une grand-messe. Ce délicieux anachronisme surprend moins chez un homme pour qui la messe fit longtemps, dans son coin de pays éloigné, office de théâtre, d’opéra et d’occasion d’entendre de la musique! Un grand amour de la liturgie et du rituel, qu’il nous offre aussi dans la mise en scène de chacun de ses spectacles, a pris naissance alors. N’oublions pas que Vigneault est par surcroît un passeur. Il a voulu, en particulier, rendre hommage à la beauté poétique des chants grégoriens qui le fascinaient et qu’il aime encore. Il y pensait depuis plus de cinquante ans. Avec son équipe, il a « abordé l’idée de faire une messe avec beaucoup de respect pour ceux qui étaient là avant nous, pour nos parents, dira-t-il. Une espèce de politesse à faire à leurs vies, à la musique qu’ils ont entendue, aux paroles qu’ils ont prononcées, aux sacrements qu’ils ont reçus. » L’artiste souhaiterait tant que son œuvre suscite l’intérêt des jeunes envers leur passé, éveille une curiosité par rapport à leur histoire, à leurs racines, à leurs assises. « Une chose est morte quand on ne peut plus la nommer. » Conscient de l’unanimité religieuse qui régnait à l’époque au Québec, Vigneault, même s’il ne prend pas tout, ne renie pas la foi léguée par ses ancêtres; une foi vécue dans la fidélité, dans la simplicité. Une foi qu’il qualifie tendrement de naïve sans lui enlever une once de valeur, car « croire naïvement est peut-être la seule façon de croire? » Fort de la culture, de la langue et de la foi transmises par ses parents, il assume son héritage catholique, mais reconnaît d’emblée que la foi des autres est tout aussi valable. Il invite au respect et constate que « le mépris du sacré de l’autre est très grave ». Il dira, par exemple, des peuples autochtones qu’il a côtoyés dans son village natal que « leur Grand Esprit valait bien le nôtre! » « Chacun dit sa messe à sa façon, selon son propre rituel et son sens du sacré. Et son goût pour la cérémonie. Au jour de la semaine dont il fait son dimanche3. » Fondation Beati

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