À quoi nous appelle l’œcuménisme concret vécu à L’Arche?
Le cri des personnes handicapées signale le désir de Salut et d’Alliance que tous et toutes nous portons. La seule différence entre « eux et nous », c’est qu’eux crient leur souffrance de rupture d’Alliance en eux, avec autrui et avec Dieu. Et que leur joie dans la rencontre ne tient pas compte de nos protocoles. Impossible donc de ne pas entendre ce désir d’Alliance qui résonne en chacun et chacune et qui est bien au-delà de toutes les divisions. Tant l’attente du Royaume encore à venir que la joie du Royaume déjà parmi nous scellent la priorité à vivre l’Alliance. Terre habitée ensemble1, maison partagée ensemble, repas pris ensemble où tous sont d’abord des enfants de Dieu : ainsi se vit l’essence même d’un œcuménisme au quotidien à l’Arche. Comme le dit Jean Vanier lui-même, l’appel dérange. Il nous faudrait, dit-il, inventer une théologie du dérangement. Car le Christ aussi nous dérange – mais il est plus loin et nous savons l’accommoder à nos vies. Les personnes handicapées sont plus proches et nous dérangent davantage. L’œcuménisme commence dans le bouleversement, dans le déplacement, dans le retournement vers et pour l’autre. L’appel propre à la rencontre de l’autre à L’Arche ne porte pas sur des objets ni ne s’embarrasse d’idées. C’est un appel à écouter autrement : puisque les idées sont vaines, c’est notre écoute même qui est convoquée. Sommes-nous aptes à écouter en deçà des objets et des idées, là où se dit l’attente de la relation? Comment répondons-nous à l’attente de notre présence dans le don, à l’attente de notre geste qui se fasse Alliance concrètement avec ce qui nous dérange? L’Arche est d’abord et avant tout une école de vérité. La différence de l’autre nous signale que nos paroles coupées de la relation ne sont que beaux discours; que nos gestes sans Alliance enferment dans l’isolement; que les soins sans don de soi ne font qu’aviver la souffrance. Le chemin, la vérité et la vie se vivent au plus profond de la capacité à réconcilier nos divisions au cœur de notre humanité. Le Verbe fait chair s’est lié à ce qui est vulnérable, à ce qui ne fait que passer sans bruit, à ce qui souffre – à la chair. C’est ce lien dans la faiblesse qui permet aux petits de reconnaître que ce Dieu est leur Dieu. Ils ne s’y trompent pas, ils ne se trompent pas de Dieu. Un Dieu qui se donne dans la faiblesse est un Dieu pour eux, qui se fait proche d’eux, de leur cœur et de leur corps brisé. Un tel Dieu est le Dieu des pauvres. L’œcuménisme se vit là où ce Dieu reconnu, plus grand que nos différences, fait vivre en communion. Cette communion n’est pas abstraite, elle n’est pas fusion idyllique, elle n’est pas immatérielle. Elle transforme le monde des objets et des idées. La chance de L’Arche, c’est que, lorsqu’il n’y a que peu de mots, on touche au vrai désir d’être-ensemble – d'œcuménisme. C’est ainsi que la personne handicapée est lieu de communion ecclésiale pointant vers l’essentiel. Vivre l’œcuménisme à L’Arche demande de reconnaître que les personnes handicapées sont des paraboles de la vulnérabilité de Jésus et de la Joie du Royaume au milieu de nous.« Les personnes en situation de handicap m’ont toujours ramené à ce qu’il y a de plus humain dans l’humain : le cœur, une vie relationnelle faite de joie, la souffrance, le cri pour la vérité, la justice et l’amour. C’est en vivant avec elles que j’ai découvert leur beauté et leur sagesse. L’humanité ne se réduit pas à ce qui est enfermé dans la prétendue normalité, dans la recherche de la performance et de l’élitisme. Vivre humainement, ce n’est pas juste subir ses fragilités, mais aussi les accepter, les accueillir, être en perpétuel dialogue avec elles. Être humain, c’est accueillir pleinement soi-même pour s’ouvrir et se donner aux autres. Notre cœur peut se fermer sur soi ou s’ouvrir aux autres, à l’univers et à l’universel. S’ouvrir humblement aux autres, se libérer de soi-même constitue certes un risque, mais le risque d’être pleinement humain. » Jean Vanier, Leur regard perce nos ombres Échange avec Julia Kristeva, Paris, Fayard, 2011, p. 200.