Croyant sur macadam
J’ai eu peu de contacts avec Gérald Doré, pour ainsi dire aucun; si ce n’est une fois, il y a une dizaine d’années, à l’assemblée de fondation du Réseau œcuménique justice et paix (ROJeP) du Québec.
J’ai eu peu de contacts avec Gérald Doré, pour ainsi dire aucun; si ce n’est une fois, il y a une dizaine d’années, à l’assemblée de fondation du Réseau œcuménique justice et paix (ROJeP) du Québec. C’est pourtant un frère que je découvre en lisant son itinéraire. Un frère, parce que protestant? Pas tout à fait, non. S’il est un frère, c’est à cause des airs de famille, de la fréquentation des mêmes réseaux, de la familiarité également avec le fier monde des milieux populaires, un enracinement d’Évangile dans le macadam urbain, dans le béton des ruelles citadines du Québec avec, en prime, la capacité de mettre un prénom et une histoire personnelle sur chaque situation d’injustice et d’exclusion, mais aussi sur des réussites collectives et des histoires d’épanouissement personnelles.
Un chant, création collective de l’ALPEC1, proclamait ce refrain dans les années 1970 : « Un Pays à bâtir, une Église à conquérir, des mains pour façonner, et des mains pour aimer... » Combien furent-ils et furent-elles dans les quartiers ouvriers, qu’on appelle populaires aujourd’hui, de Québec, de Hull, de Montréal, tels des levains dans la pâte, à avoir participé à la construction d’un monde meilleur? Ils s’appellent Isidore Ostiguy, Roger Poirier, Benoît Fortin, Claude Hardy, André Myre; elles s’appellent Lise Lebrun, Annette Benoît, Simone Bernier, Nicole Jetté, Janelle Bouffard, Vivian Labrie. La liste serait trop longue pour les nommer tous et toutes. Tous des croyants et croyantes, souvent en marge de l’institution, qui se sont mis à rêver d’un monde nouveau avec d’autres et ont ouvert toutes grandes leurs oreilles pour entendre les joies, les peines, les souffrances, les espoirs et les aspirations de leur entourage, qui se sont laissé toucher, bouleverser, indigner et, forcément, transformer par ce qu’ils et elles ont entendu. De cette prise de conscience et de ces bouleversements sont nés un monde nouveau, un « vivre autrement », un « être autrement au monde ». Pétris d’Évangile, ils se sont rendu compte que cet « être autrement au monde » entraînait un « être autrement Église ».
Le langage religieux demeure souvent une langue étrangère qui n’arrive pas toujours à toucher les gens. Joseph Cardjin, fondateur de la JOC, a dû se tenir à la sortie des usines pour apprendre la langue des jeunes ouvriers, et c’est seulement à ce moment qu’une communication fut possible. Beaucoup de croyants et croyantes en milieux populaires ont dû s’éloigner des réseaux officiels d’Église pour pouvoir partager l’Évangile, célébrer leur vie et leur foi. Des communautés ecclésiales de base, des groupes de révision de vie ou d’autres réseaux, formels ou informels, de partage de foi se sont mis sur pied et se réunissent encore aujourd’hui. Peut-on parler d’une Église underground? Parlons d’Église autrement. Il semble peut-être que ce sont des lieux drôlement plus pertinents pour celles et ceux qui y participent que la routine du « assis, debout, à genoux... » À cause d’une société et d’Églises qui excluent, ces lieux d’appartenance où chacun et chacune a sa place sont nécessaires pour que l’Évangile puisse se vivre à nouveau dans nos villes.