Sentiers de FoiVolume 06 - no 13

Aller voir ailleurs si j’y suis

Jean-Guy Nadeau
Marcher! Pas pour moi, sauf en rêve, peut-être en désir.
Marcher! Pas pour moi, sauf en rêve, peut-être en désir. La marche comme désir. Je devrais marcher pour ma santé. Non pas ma santé spirituelle mais ma santé physique. Bien sûr, les deux vont de pair. Une âme saine dans un corps sain. Marcher pour aller quelque part? Oui. Pour aller nulle part? Non. Marcher pour revenir à mon point de départ. Il y a là une gratuité, peut-être une grâce, un plaisir... prescrit? Un plaisir prescrit, contradiction dans les termes. Et pourtant, ne revient-on pas toujours à son point de départ? Certains y reviennent transformés, un peu, beaucoup. Et puis, quand j’entends le mot marche, je pense souvent à cette fantastique sculpture de Rodin : « L’homme qui marche ». Quelle force dans ce buste et ces jambes qui avancent sans bras ni tête! Un peu plus grand que moi, même sans tête. Force et courage de ce corps crevassé, peut-être blessé, et néanmoins solide. En marche! Même sans bras ni tête, il a tout d’un homme, d’un homme debout. Mais cet homme ne me donne pas vraiment le goût de marcher. On n’a aucune idée où il va. Et puis, il est trop fort, monumental, en fait plus qu’humain. Mais ce marcheur m’émerveille, et j’ai passé de longues minutes à le contempler... moi qui n’ai rien de contemplatif. Il y a des gens qui aiment la marche. Des gens qui marchent pour leur bien, des gens qui marchent pour décrocher, qui marchent pour la grâce, comme certains prient. J’avoue que je préfère marcher pour accrocher, comme certains prient aussi, accrocher l’attention sur une cause sociale, manifester un désaccord, s’opposer à l’exploitation des gaz de schiste, réclamer une loi antibâillon. Il y a des gens qui marchent dans la camaraderie avec une partie du poids du monde sur leurs épaules. Des gens aussi qui marchent dans la camaraderie avec une partie de la grâce du monde. Ça aussi, je le fais trop peu. Dans un pays où la petite marche pour aller voter est truquée par les règles électorales, il faut marcher entre les votes. Ailleurs, plusieurs marchent pour réclamer la parole; d’autres encore, plus nombreux, marchent pour sauver leur vie. Il y a, nous dit-on encore, des gens qui marchent pour arrêter. Paradoxe. Des gens qui se donnent une routine – un pas devant l’autre, puis un autre, puis un autre – pour échapper à la routine, faire une halte, se trouver. Et ils vont marcher au bout du monde, se trouver ailleurs. Plusieurs jeunes sont avides de trekking, pas seulement pour se trouver, mais aussi pour se dépasser, communier à plus grand que soi. D’une part, je les envie de prendre le temps et de trouver tout ça. D’autre part, je me dis que c’est chez soi qu’on se trouve, là où l’on est, là où l’on vit. Même dans la routine, un pas quotidien devant l’autre pas quotidien. Il me semble souvent que je suis seul à le croire. Peut-être parce que je me leurre. Peut-être parce que c’est morne et peu exaltant, la vie quotidienne. Faut aller ailleurs pour se trouver, répète-t-on sur tous les toits. Et de faire l’éloge de ceux qui marchent ailleurs... et que j’envie parfois. Il y en a qui marchent sur le « chemin des Outaouais ». Qui s’y trouvent. Qui y trouvent d’autres. Sur ce chemin particulièrement attrayant d’humanité, des gens trouvent du temps! Une denrée rare de nos jours et que bouffent nos centres de divertissement domestiques après le travail, les enfants, le bénévolat. Il arrive que le temps des uns dépende du bénévolat des autres. Qui accueillent. Qui écoutent. Qui ouvrent leur table et partagent le pain. Qui rendent grâce. Des amitiés se créent, des liens se tissent. Ces liens que mon amie Marie (90 ans) a passé sa vie à tisser et à nourrir. Alors me tenir en bordure de route sur le « chemin des Outaouais », comme je contemple les fidèles qui s’approchent du crucifix de l’Oratoire Saint-Joseph durant l’Eucharistie et apportent au Crucifié leurs douleurs, leurs requêtes, leurs enfants, leurs espoirs, leur histoire. Partout, il y a des gens qui marchent. Parfois, il y a des gens qui les accueillent, qui les écoutent, qui les relient. Et toujours d’autres qui se mettent en marche. Pour plein de raisons.

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Volume 06 - no 13
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