Blanche Paquette, artiste-peintre des mandalas
« Il est si difficile de vivre un vie d’artiste, pourquoi la vivre pour s’exiler de soi-même? » Cette citation de Blanche Paquette m’avait marqué.
« Il est si difficile de vivre un vie d’artiste, pourquoi la vivre pour s’exiler de soi-même? » Cette citation de Blanche Paquette m’avait marqué. J’appréciais son choix de vivre en authenticité avec elle-même. J’avais lu cette phrase dans les premières pages de son livre d’art. J’étais curieux de la connaître davantage, de savoir ce qui l’animait. Je savais que cette « femme, mère et artiste-peintre », telle qu’elle s’est décrite spontanément alors que je l’interviewais, avait choisi d’emprunter un chemin tout à fait inusité en peinture. Mais son parcours avait débuté tout autrement. Blanche Paquette a d’abord étudié en graphisme, travaillé en dessin technique, puis a œuvré dans l’illustration en éducation relative à l'environnement et en alphabétisation. « Je viens d’un milieu peu fortuné. J’ai réussi à aller à l’école de graphisme simplement parce que j’avais un talent en dessin. J’aurais aimé faire les Beaux-Arts, j’avais vraiment une âme d’artiste, mais en fin de compte, les Beaux-Arts ne m’auraient pas servi techniquement comme mon école de graphisme m’a servi. »
Origines des mandalas
Aujourd’hui, Blanche Paquette peint des mandalas. Elle vient justement de publier chez Fides, avec Jean-François Malherbe, auteur et philosophe, le livre Mandalas qui présente ses œuvres inspirantes. Mais au fait, qu’est-ce qu’un mandala? « Le mandala, dont le mot issu du sanscrit signifie cercle, tire son origine des traditions religieuses hindouistes et bouddhistes1. » Pour ces traditions spirituelles, le mandala, qui soutient et nourrit la méditation, est une représentation de l’univers et se fait l’expression des liens sacrés qui unissent le cosmos, la divinité et l’humanité2. « Mais dans son évocation profonde, le mandala, reflet de la plénitude du cosmos, demeure un des modèles fondamentaux d’organisation de la vie et apparaît sous les aspects les plus divers depuis l’origine des temps. On en trouve les plus belles formes dans la nature3. » Pour Blanche Paquette, c’est surtout dans la géométrie des mandalas bouddhistes, ces modèles d’organisation de la vie, qu’elle a puisé son inspiration.
Son intérêt pour ces formes circulaires est né alors qu’elle était enceinte de sa fille. « Je voulais accoucher naturellement, sans être médicalisée. Pour ce faire, je voulais essayer d’avoir tous les outils possibles pour garder mon calme. J’avais mis la main sur un calendrier qui venait des États-Unis, présentant des mandalas de toute sorte : le cœur d’une fleur, un tapis persan, un tissage de forme circulaire et, bien sûr, un thangka tibétain. Ils en dévoilaient la forme et le concept autant que la vision bouddhiste. J’en avais alors peint un sur le mur. Il s’est passé une douzaine d’années avant que je n’entreprenne une série en peinture avec les mandalas. Ce fut une période pendant laquelle je participais à des groupes de créativité. Quand j’en revenais, je faisais une synthèse de notre rencontre en dessin ou en mots, et ça donnait une rosace. Je voyais déjà la dynamique des groupes comme des mandalas. »
Assez tôt, elle a pu constater à quel point les mandalas faisaient déjà partie de son expérience personnelle : « C’était enraciné dans mon existence depuis que j’étais toute petite. Par exemple, dans les set callés qu'on dansait alors dans nos réunions familiales, dans les feux de joie autour desquels nous chantions, je voyais des mandalas extraordinaires. Ça existe depuis belle lurette dans les arts; dans toutes les civilisations, on en a créés. Qu’on les retrouve chez nous va presque de soi. [...] Ensuite, il y a eu la rencontre avec Jung. Je ne l’ai pas exploré beaucoup, mais j’ai compris que les mandalas pouvaient être vraiment thérapeutiques, pas seulement esthétiques ou religieux4. » Des cercles de créativité... Loin de s’intéresser uniquement à la création de mandalas sur toile, l’artiste explore aussi les implications du cercle et la dynamique des groupes. « Dans les groupes de créativité, on expérimentait le cercle, reprend-elle. On faisait l’expérience de s’abandonner tour à tour à l’animation de personnes différentes. J’aimais observer la structure du groupe, comment les individus interagissaient. Après des années, j’ai réalisé que le pivot central dans notre cercle était simplement de retrouver l’estime de soi. Nous voulions humaniser notre démarche, nos échanges, apprendre à nous pardonner. On s’accompagnait avec le meilleur de nous-mêmes. Dans le cercle, les règles existent, mais différemment : ça a été pour moi une surprise. » À ses dire, le cercle favorise aussi l’engagement : « Ça demande à chaque personne la responsabilité d’être elle-même, de voyager vers soi, vers sa transparence, son honnêteté, et c’est ce qui est génial. Ce qui est demandé quand on est dans un cercle, quand on fait du circulisme, c’est de voyager ensemble vers notre ensemble, tout en respectant son propre sentier… de foi. » ... jusqu’au circulisme Pour l’artiste, les mandalas sont aussi des tableaux vivants qui décrivent l’expérience humaine : « L’être humain est un mandala. En fait, le point central, ce serait justement l’humain qui existe, et les contours, ce serait son horizon, l’étendue de son expérience, de son existence. Jean-François le décrit bien quand il parle du point central qui va jusqu’à l’horizon. Tous les points qui peuplent cet espace-là, peuvent être des êtres humains, des expériences. Tous ces points peuvent devenir des mandalas et être le centre d’autres. » Sa réflexion autour des mandalas l’a amenée à proposer un concept qui pourrait bien représenter le point de départ de nouvelles façons de vivre ensemble, plus créatives : le circulisme. Une réponse peut-être à nos sociétés parfois trop inhumaines, détachées de la vie en commun. Blanche l’artiste et Jean-François le philosophe en ont écrit une première ébauche dans le livre Mandalas : « En fait, on est encore en train de le nommer. En société, dans les arts, on vit surtout l’interdisciplinarité. Moi, je rêve de circulisme, dans le sens où on abandonne nos disciplines respectives pour voyager vers un instant commun, inédit. C’est assez utopique, je l’avoue. Mais quand ça se passe, j’ai l’impression qu’il y a émergence d’un nouveau paradigme. Quand on réussit à être des pèlerins qui marchent vers un noyau central, puis qu’on arrive, par la discussion ou la créativité, à ne pas se faire la guerre ou de chichis, mais à voyager humblement tous ensemble, il y a communion véritable. Ça ne date pas d’hier : les grandes inventions, les changements de conscience sont nées d’une forme de circulisme. » Peut-on apparenter cela à l’ordre qui émerge du chaos, demandé-je alors? « C’est certain, mais j’aime mieux œuvrer avec le circulisme. La théorie du chaos, c’est parfait scientifiquement, mais dans le circulisme, il faut considérer le... genre humain, souligne-t-elle. Le genre humain qui peut vraiment se faire de bien vilaines choses parfois... Ma souffrance devant le monde souffrant est une des raisons pour lesquelles je me penche sur ma toile. Je n’ai pas d’autres réponses. »Le livre Mandalas est un livre d’art raffiné qui pousse à l’émerveillement. Il comprend des reproductions couleur des magnifiques œuvres de l’artiste-peintre et des textes inspirants de Jean-François Malherbe. Fides, 2006, 120 p.