Dominique Boisvert : un passionné... de la simplicité
D’entrée de jeu, quand on demande à Dominique Boisvert de décrire en quelques mots qui il est, il se dépeint d’abord, un peu embêté par le terme, comme un « caméléon ».
D’entrée de jeu, quand on demande à Dominique Boisvert de décrire en quelques mots qui il est, il se dépeint d’abord, un peu embêté par le terme, comme un « caméléon ». Se ravisant, il enchaîne en riant : « Je suis aussi un avocat “non pratiquant” : je n’ai pas exercé comme avocat, mais dans mes actions je me suis toujours porté à la défense de la justice. » Ce qui fait de lui un « caméléon », à ses dires, c’est qu’il est avant tout un militant qui s’est engagé sur de nombreux fronts, mais dont les luttes, pourrait-on ajouter, sont profondément unifiées autour d’un seul refrain : une passion pour la justice, la solidarité et la non-violence.
Épicurien, Dominique Boisvert l’est sûrement. Mais pour lui, ce qualificatif n’a rien à voir avec l’oisiveté. Hier, coopérant volontaire pour le SUCO en Côte d’Ivoire, militant des droits humains et de la solidarité internationale, puis journaliste à la revue mensuelle Relations, et j’en passe. Aujourd’hui, vice-président de Conscience Canada, un organisme canadien voué à la promotion de l’objection de conscience fiscale (refus de payer la partie militaire de ses impôts) et membre du comité de coordination de Nos impôts pour la paix; puis membre fondateur du Réseau québécois pour la simplicité volontaire (RQSV), M. Boisvert est aussi auteur. Il vient de publier le livre L’ABC de la simplicité volontaire1 qui traite d’un sujet qui l’anime : « Dans ce domaine auquel je consacre désormais le plus clair de mon temps, je fouille particulièrement les dimensions potentiellement révolutionnaires du concept de “simplicité volontaire”, son développement ici et ailleurs dans le monde, ses rapports avec l’écologie, la décroissance, les formes alternatives d’économie, etc. » Un militant... avec l’espérance en plus « Je suis un amoureux de Jésus, de son message de justice. C’est sûr que si je n’avais pas été chrétien, j’aurai été militant de toute façon. Mais ce qui nourrit mon engagement comme chrétien, c’est le plus qu’apporte l’espérance. » C’est son expérience en Afrique de 1969 à 1971, ses nombreux engagements pour la justice et l’interpellation constante de l’évangile à vivre la pauvreté qui l’ont conduit à s’intéresser à la simplicité volontaire (SV). Mais qu’est-ce que la SV? « La SV, explique M.Boisvert, est un courant social qui a pris son essor au Québec depuis 1998 [et qui vise] la redécouverte d’une sagesse vieille comme le monde faite de modération, de juste milieu et de simple “gros bon sens”. Dans une société de surconsommation et de croissance illimitée, prendre conscience que le bonheur promis n’est pas au rendez-vous et qu’on peut vivre mieux avec beaucoup moins. Bref, sortir de la routine “auto-boulot-dodo”, prendre un peu de recul et choisir de vivre plus consciemment en fonction de ses véritables priorités. » Il n’hésite pas à évoquer un art de vivre : « La SV, ce n’est ni un catéchisme, ni un catalogue de choses à faire ou à éviter; c’est plutôt un processus, un cheminement individualisé, qui prendra autant de formes qu’il y a d’individus. C’est une façon de vivre un rapport différent à la fois au temps (contre la course folle), à l’argent (contre la surconsommation), à la planète (contre le gaspillage ou même l’utilisation indue des ressources), à la justice sociale (« vivre simplement pour que les autres puissent simplement vivre ») et même à la quête de sens (vivre de façon plus consciente, délibérée, plutôt que sur le “pilote automatique”). » La SV et l’Évangile En quoi la SV est-elle une interpellation pour les chrétiennes et chrétiens d’aujourd’hui? « La SV est d’abord une mouvance séculière. Mais il est indiscutable que bien des éléments de la SV ont une consonance profonde avec plusieurs invitations de la Bonne Nouvelle : revenir à l’essentiel, ne pas devenir esclave ou le serviteur de ses biens ou de l’argent, placer sa sécurité et son trésor dans ce qui ne passe pas, partager le peu qu’on a avec autrui, ne pas accaparer indûment et se contenter du nécessaire, etc. Chose sûre, notre Terre et ses milliards d’habitants ne pourront survivre – et à plus forte raison vivre décemment, comme des fils et des filles de Dieu – que si nous sommes de plus en plus nombreux à recentrer nos priorités et à modifier nos modes de vies... » Ascèse et épicurisme vont-ils de pair? Il est clair que nos sociétés modernes seront appelées à vivre un certain renoncement. Le temps du carême est peut-être l’occasion de nous rappeler quelles sont nos véritables priorités : c’est-à-dire, selon M. Boisvert, « mettre son trésor dans des choses qui comptent et qui durent : les relations humaines, la qualité des solidarités, les liens, la créativité et la liberté des enfants de Dieu. En agissant ainsi, nous serons bien plus heureux à long terme en ce monde et dans l’autre que si nous nous consacrons à accumuler des biens. Et n’est-ce pas le vrai sens de l’ascèse? Un appel à vivre plus simplement, à vivre en accord avec nos valeurs de justice, de bonheur, de paix et à agir avec respect à l’égard de la Terre qui nous nourrit. C’est un appel à vivre notre bonheur dès maintenant. » C’est en ce sens que Dominique Boisvert est un épicurien. À preuve, il évoque la Lettre à Ménécée, cette lettre sur le bonheur du philosophe Épicure (341-270 av. J.-C.) Contrairement à ce qu’on croit, ce philosophe n’était pas un adepte du plaisir au sens de “jouissance permanente”, mais bien de celui que procure l’exercice des vertus de prudence, d’honnêteté et de justice. Bref, des considérations qui ont beaucoup à voir avec la simplicité volontaire... Et pour Dominique Boisvert, comme peut-être pour Épicure, le véritable bonheur rime avec simplicité...Quand nous parlons du plaisir comme d’un but essentiel, nous ne parlons pas des plaisirs du noceur ou de celui qui a la jouissance comme résidence permanente mais d’en arriver au stade où l’on ne souffre pas du corps et où l’on est pas perturbé de l’âme. Car ni les beuveries, ni les festins continuels [...] ne sont à la source d’une vie heureuse. [...]. Au principe de tout cela, comme plus grand bien : la prudence. [...] [La philosophie] nous enseigne qu’on ne saurait vivre agréablement sans prudence, sans honnêteté et sans justice, ni avec ces trois vertus vivre sans plaisir. Les vertus en effet participent de la même nature que vivre avec plaisir, et vivre avec plaisir en est indissociable. Épicure, Lettre à Ménécée