Sentiers de FoiVolume 02 - no 13

La religion face à l’environnement

Jean-Guy Vaillancourt
La fascination actuelle pour l’environnement constitue-t-elle une nouvelle religion, ou encore serait-elle un espèce d’idéologie de substitution pour des religions qui seraient de plus en plus en perte de vitesse? Permettez-moi de douter de ces deux possibilités qui me semblent aussi farfelues l’une que l’autre.
La fascination actuelle pour l’environnement constitue-t-elle une nouvelle religion, ou encore serait-elle un espèce d’idéologie de substitution pour des religions qui seraient de plus en plus en perte de vitesse? Permettez-moi de douter de ces deux possibilités qui me semblent aussi farfelues l’une que l’autre. Je pense plutôt que la prise de conscience généralisée que l’on constate en faveur de la protection de l’environnement est une vision non religieuse du monde qui est relativement nouvelle et qui se situe à la fois au niveau social, politique et culturel, même si l’on peut y trouver certaines affinités avec la religion ou la spiritualité. Le conservationnisme, l’environnementalisme et l’écologisme sont trois des principales tendances idéologiques qui inspirent le mouvement vert, et qui ont leurs racines dans les sciences naturelles et sociales, alors que la religion et la spiritualité relèvent avant tout de la foi et de l’expérience intérieure des croyants. Mais les deux mondes ont quand même des points en commun, entre autres sur le plan des préoccupations éthiques individuelles et collectives, qu’il convient de souligner et d’analyser si l’on veut comprendre la relation complexe qui se noue entre eux. En 1967, l’historien Lynn White Jr. a accusé le judéo-christianisme d’être en bonne partie responsable de l’incurie à l’égard de l’environnement, à cause de l’injonction biblique de Genèse 1, 28 qui demande de remplir la terre et de la soumettre, ce qui aurait conduit les croyants juifs et chrétiens à dévaloriser la nature et à la dominer. Les religions de la nature plus anciennes, qu’elles soient animistes, totémistes ou fétichistes, auraient été plus respectueuses de la terre et des diverses espèces végétales et animales qui s’y trouvent, toujours selon White. Des théologiens et des biblistes ont réfuté White en montrant qu’une traduction plus exacte du premier terme utilisé, Radah, signifie « guider » plutôt que « dominer » et que kabas signifie « rendre cultivable » et non pas « soumettre ». Genèse 2, 15 parle en plus de « culture » et de « garde », ce qui est encore plus respectueux de la nature que les termes utilisés dans Genèse 1, 28. L’Ancien et le Nouveau Testament s’intéressent généralement bien plus à la beauté de la création, à la fraternité entre les humains et à la solidarité entre ces derniers et la nature, qu’à la domination des humains sur la nature, si on se réfère aux Psaumes et aux Évangiles, à Noé qui a sauvé la biodiversité et aux paraboles de Jésus, qui ne méprisait pas la nature, loin de là. En fait, dans la tradition chrétienne, il y a actuellement trois grandes approches éthiques concernant la nature : l’éthique de la bonne intendance, l’éthique de l’écojustice et l’éthique de la spiritualité de la Création. Certains pourraient même voir ces trois approches comme trois sentiers de foi convergents, comme trois larges voies qui peuvent toutes conduire à la vie et à la vérité. La première approche, celle de la bonne intendance à l’égard de la terre, prend son origine dans les mandats de Genèse 1, 28 et 2, 15 qui perçoivent la nature comme étant féconde et au service des humains. La deuxième approche est encore plus anthropocentrique que la première, car elle centre l’attention sur la justice entre les humains. Dieu y est perçu comme le libérateur transcendant des pauvres et des opprimés, qui veut que les humains se partagent équitablement et utilisent modérément les ressources naturelles qu’il leur a généreusement prodiguées. Quant à la troisième approche, elle s’inspire surtout de la Bible, et aussi de la vie de François d’Assise et de sa fascination pour la magnifique beauté de la Création. C’est une approche qui privilégie à la fois le biocentrisme et la spiritualité, et l’immanence de Dieu dans ses créatures. Deux de ses principales figures de proue sont le paléontologue jésuite Pierre Teilhard de Chardin et le théologien états-unien Thomas Berry, qui présentement ont chacun une influence considérable dans les milieux catholiques et protestants. Ces trois approches ne sont aucunement contradictoires. Elle se complètent réciproquement et font appel chacune à des sensibilités diverses et à des besoins différents. La première, à savoir l’éthique de la bonne intendance, correspond davantage aux tendances vertes séculières qu’on appelle généralement le conservationnisme, ou encore à celle qu’on appelle maintenant l’environnementalisme. La seconde, l’éthique de l’écojustice, est en étroite affinité avec la tendance verte qu’on appelle l’écologisme, et que certains appellent l’écologie sociale ou encore l’écologie politique. Enfin, l’éthique de la spiritualité de la création s’apparente à ce qu’on appelait autrefois le préservationnisme, et que certains caractérisent maintenant de biocentrisme ou même d’écologie profonde. Chacune de ces trois approches éthiques a ses bons côtés, mais chacune risque aussi de dévier, soit à droite, soit à gauche, la première dans un conservationnisme qui s’éloigne de l’éthique du développement durable et de l’environnementalisme modéré, pour devenir une simple exploitation sans scrupule de la nature, ou encore, à l’opposé, pour tomber dans un environnementalisme beaucoup trop radical, donc tout à fait irréaliste. L’éthique de l’écojustice, de son coté, risque elle aussi de déraper, comme c’est parfois le cas chez certains Verts d’extrême-gauche, et de sombrer dans les idées d’écologisme révolutionnaire ou encore dans une théologie de la libération beaucoup trop marxisante. Enfin, l’éthique de la spiritualité de la Création en arrive parfois à flirter avec l’animalisme, le néopaganisme et le panthéisme, ou encore avec certaines des idées farfelues qui ont cours dans des mouvements du Nouvel Âge qui déifient la Terre-Mère, la Gaïa des religions antiques. Personnellement, je pense qu’il est important et légitime de relier l’environnement et la religion, la nature et la spiritualité, si l’on est favorable au mouvement vert et à ses préoccupations, et si en même temps l’on tient à ne pas abandonner de solides valeurs religieuses et spirituelles. Mais je pense aussi que les personnes qui tiennent à relier ces deux pôles entre eux ne devraient pas opposer radicalement les trois approches que j’ai décrites plus haut, ni encore moins n’en choisir qu’une seule en insistant sur une des positions extrémistes dans lesquelles elles risquent parfois de glisser. Dans le vaste mouvement vert actuel qui est caractérisé par sa grande diversité, il y a de la place pour une faune et une flore très diversifiées de tendances et de coalitions, mais à la condition qu’elles tentent d’éviter les excès et les déviations qui nuisent à leur crédibilité et à l’efficacité de leur action. Comme c’est le cas pour la spiritualité et la religion, il y a dans la lutte pour protéger le nature et l’environnement, plusieurs routes et sentiers qui conduisent à la vérité et à la vie, mais il y a aussi un effort à faire pour éviter les culs-de-sac, les détours et les mauvaises directions qui font perdre du temps et de l’énergie. Comme disaient les Anciens : « In medio stat virtus ».

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