Toutes voiles dehors
Dans une salle de rencontre, plusieurs tables sont à l’envers.
Dans une salle de rencontre, plusieurs tables sont à l’envers. Des gens répartis en équipes s’affairent autour à installer un mat avec un fanion et une voile. Des rames sont en place. On se croirait dans une maternelle en train de jouer aux marins avec des tables pour bateaux. Mais non. Cette mise en scène fait partie d’une rencontre de formation et de ressourcement pour des organismes populaires qui met à contribution les émotions et le corps en plus de la tête. La pédagogie variée du Carrefour de participation, ressourcement et formation (CPRF), dans ce cas théâtrale, s’inscrit dans la perspective de l’éducation populaire autonome qui a fait ses preuves depuis maintenant quatre décennies. Voici tracées à grands traits les couleurs de cet organisme et sa mission.
Dans notre exemple, les tables représentent le groupe d’appartenance, les rames les valeurs qui font avancer individuellement. Le fanion identifie « notre gang » – groupe écologiste, pacifiste, féministe et de justice sociale – et la voile les valeurs collectives. « En partageant valeurs et expériences et en regardant l’histoire, on réalise que notre bateau est aussi porté par un courant puissant qui remonte loin – courant prophétique, courant des résistants aux puissances d’oppression et de mort, courant des assoiffés de justice et de liberté. Nous ne sommes pas seuls » affirme Guy Fortier1, animateur-formateur au CPRF. Ainsi, le groupe et les membres découvrent qu’ils appartiennent à un courant de fond qui les identifie et redonne sens et souffle à leurs engagements. Ce processus de prise de conscience leur donne du pouvoir sur leur vie (tant individuellement que collectivement) et sur la société. Comme le dit un membre de l’équipe : « L’engagement social partagé et les prises de conscience faites ensemble m’ont bâti comme personne et nous ont fait avancer comme groupe. » Le Centre de pastorale en milieu ouvrier (CPMO), ancien nom du CPRF changé en 2006, a été fondé à Montréal en 1970 par Claude Lefebvre, Fils de la Charité, « entouré de militants et militantes de l’Action catholique ouvrière, de prêtres, de militantes et militants syndicaux et d’animateurs sociaux pour la formation des prêtres engagés en milieu populaire urbain » (site Web, page Histoire). Dès le départ, le Centre se veut autonome et n’est pas rattaché à l’épiscopat, mais à l’Institut de pastorale des Dominicains. Les prêtres y font des stages d’un an et vivent en milieu populaire. En 1975, le Centre étendra sa formation aux agents de pastorale laïques et se déplacera rapidement en région pour rejoindre le monde ouvrier. « À l'assemblée générale de 1986, la clientèle du CPMO est composée de femmes, d’assistées sociales, de sans-emploi, des permanents et permanentes de l’Action catholique. » (site Web) Le Centre évolue avec la société2. Une mission en trois axes Aujourd’hui, la mission du CPRF se déploie en trois axes transversaux. Un axe formation caractérisé par une offre de sessions d’une durée d’une journée qui visent à « réaffirmer et promouvoir l’importance de l’analyse et de la formation sociopolitique et outiller les groupes et les personnes aux pratiques d’éducation populaire autonome qui les permettent » (Énoncé de mission). Un axe ressourcement qui concerne le sens de l’engagement social et le souffle qui caractérise le dynamisme de l’engagement. Axe actualisé dans des activités comme les formations D’Hier à demain, changer le monde et Marcher à contre-courant, une question de sens. Un dernier axe touche la vie associative et la participation active aux mouvements sociaux. L’approche pédagogique du CPRF le conduit à être à l’écoute des pratiques et du langage des « gens sur le terrain ». Il s’habilite à lire la réalité sociopolitique à l’aide d’analyse de la conjoncture avec ses partenaires pour bien comprendre les enjeux et en faire ressortir les questions de sens sur les plans de la politique, de l’économie, de la démocratie, de la justice sociale, de la liberté, de la solidarité, de la dignité humaine et de l’écologie. Cette attention particulière aux démarches des organismes du milieu populaire implique une capacité permanente de remise en question. Le défi est celui d’être signifiant dans la société québécoise d’aujourd’hui. Une rencontre avec des gens passionnés et engagés avec les réseaux de résistants et résistantes qui travaillent sans relâche à bâtir un monde plus juste et solidaire, un Québec sans exclus, sans exploités. Des gens chez qui le feu est pris, ce genre de feu qui tourmentait le cœur du prophète Jérémie et celui de Moïse et que Jésus souhaitait voir allumé partout sur la terre. Ça me rappelle ce mot d’un des disciples d’Emmaüs : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en chemin? »« L’héritage chrétien, dans lequel le CPRF puise son souffle, témoigne d’une lecture de la réalité à partir de la parole, du vécu, de l’oppression des plus pauvres de notre société... dans une recherche de justice qui est à faire et toujours à refaire dans un climat de liberté vis-à-vis des institutions et des systèmes... » Rapport final du comité sur l’héritage chrétien